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L’Afrique Francophone Face A Ses Défis (4ème Défi)

 

L’Afrique Francophone Face à ses Défis

Boubacar DIALLO
Février 2019

 

4. LE DEFI DE L’INTEGRATION AFRICAINE

L’intégration africaine ! Une antienne de 50 ans, à laquelle on fait semblant de croire chaque année lors des grands-messes de l’Union Africaine (UA), et de la journée annuelle ad hoc, alors que tout est entreprit pour qu’elle ne se réalise jamais, ou du moins, pas dans le bon sens.

Du grand art, version kafkaïenne pour les dirigeants africains et une tragédie pour les populations africaines.

Pourtant, dès 1960, l’intégration africaine a toujours été au cœur du débat politique des leaders africains qui ont conduit l’accession de leur pays à l’indépendance. L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) est née en 1963 du consensus politique entre le Groupe de Casablanca dit « révolutionnaire » et celui de Monrovia dit « modéré ». NKWAME Nkrumah souhaitait déjà un Gouvernement Continental. Son livre « l’Afrique doit s’unir » reste, à ce jour, une référence sur le sujet.

Que s’est-il donc passé depuis cette période jusqu’à nos jours ?

A l’heure des regroupements et des grands ensembles de par le monde, pourquoi le continent africain reste-t-il toujours aussi émietté ?

Qu’est ce qui explique cette incapacité des africains à s’unir pour créer une entité plus solide à même de relever le défi de l’émergence et du développement ?

Analyser les méandres de la politique d’intégration africaine n’est certes pas un exercice des plus aisés, mais s’il ne fallait retenir qu’un élément essentiel pour tenter d’y voir clair, cela sera sans doute, les relations pré et postindépendances entre l’Afrique et ses principaux anciens colonisateurs, en particulier la nature des liens établis, leurs effets et leurs répercutions. La situation dans l’espace francophone d’Afrique de l’ouest et de centre est assez révélateur des barrières à franchir pour prétendre à une véritable intégration, sous régionale déjà et continentale par la suite.

RAPPEL HISTORIQUE

En 1958, face aux revendications indépendantistes de nombreux leaders africains et craignant la sécession de ses colonies africaines, synonyme d’affaiblissement de la France, le Général De Gaulle, en visionnaire et stratège, propose un projet de Communauté composée d’états africains indépendants liés à la France. Onze colonies acceptent. La Guinée refuse et accède immédiatement à l’indépendance. La fronde lui coutera cher longtemps. Cette Communauté, que la France préside, lui assure le maintien de l’essentiel de ses prérogatives en matière de diplomatie, de défense, de commerce extérieur, d’émission de la monnaie, etc.

En 1960, en octroyant l’indépendance à tour de bras à des territoires qui n’avaient ni les moyens matériels, ni les moyens humains pour être des Etats viables, elle anticipait sur l’avenir en créant des Etats satellisés. Les entités de l’Afrique Occidentale Française (AOF) et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF), qui avaient été créées pour les besoins de la colonisation, n’étaient plus compatibles avec cette nouvelle donne. Les initiatives de certains leaders de l’époque, d’accéder à l’indépendance de façon groupée dans le cadre de ces entités, ont vite été étouffées. La disparition de la Fédération du Mali, en 1960, fut le dernier acte de cette politique d’émiettement de ces entités.

La décennie soixante verra la mise en place de mécanismes qui arriment solidement les états de la Communauté à la France, dont les accords monétaires, les accords de défense, les crédits au développement etc.

Au début des années 1970, elle entreprit de regrouper les états francophones d’Afrique de l’ouest sur la base d’un socle économique plus cohérent et mieux structuré mais, assurément, beaucoup plus dans l’optique d’accroître son poids économique sur la scène internationale en donnant de la profondeur à son marché et des opportunités à ses entreprises.

C’est ainsi que fut créé, en 1973, à Abidjan, la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEAO). Celle-ci devait rapidement montrer ses limites, surtout après le scandale, en 1984, du détournement des ressources du FOSIDEC, organisme chargé du financement des investissements communautaires. De plus les Etats nouvellement indépendants s’étaient tous enfermés derrière des frontières étanches et avaient adopté des normes fiscales, douanières, budgétaires, économiques extrêmement diversifiées, peu propices à la libre circulation des hommes, des biens et des capitaux.

Au début des années quatre-vingt-dix, sachant que ces Etats, pris individuellement, n’offraient pas un poids économique suffisant, elle a donné corps à une nouvelle approche d’où, cette première décision prise à Dakar en janvier 1994 de créer l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) avec au départ sept pays francophones de l’ouest. Son traité Constitutif et celui de l’Union Monétaire signé en 1962, seront confondus. La seconde a été de créer à N’Djaména en mars 1994, la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) sur le même principe avec six pays francophones du centre.

Ces Unions, ont pour objectif de donner à la monnaie qui a cours libératoire dans ces pays, le Franc CFA, un soubassement économique s’appuyant sur un marché ouvert et concurrentiel et sur des Politiques communes dans les différents domaines de l’activité économique. Pour leur mise en œuvre, des structures techniques supranationales ont été mises en place dont la Commission, le Comité Interparlementaire, la Cour de Justice etc.…Des réformes ont été menées et ont abouti à la libre circulation des produits du cru, à la mise en place d’un Tarif Extérieur Commun, à l’harmonisation des Fiscalités Intérieures ainsi qu’à celle des Lois des Finances. Parallèlement, un Droit des Affaires harmonisé, un nouveau Référentiel Comptable, des programmes relatifs aux assurances, à la prévoyance sociale, ou encore aux Statistiques et à la Formation des agents des Administrations Financières de même qu’un Programme Economique Régional ont été adoptés et mis en œuvre.

Pour compléter ce rappel historique, il convient de relever que, de 1973 à nos jours, la sous-région ouest africaine vit au rythme de la coexistence de deux Communautés Economiques.

D’abord, entre 1973 et 1994, la CEAO et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975 au Nigéria, regroupant seize Etats de la sous-région dont cinq anglophones. Ce nombre, plus tard, sera réduit à quinze avec le retrait de la Mauritanie.

Ensuite, de 1994 à nos jours, l’UEMOA et la CEDEAO qui ont quasiment les mêmes objectifs et les mêmes principes majeurs.

Cette duplication n’a pas manqué de mettre dans l’inconfort certains dirigeants politiques de l’Afrique de l’Ouest. En 1984, à Conakry, sous la pression de Sékou TOURE et de Thomas SANKARA, la réunion au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernements de la CEDEAO, adoptait une résolution invitant les Etats membres de la CEAO, à se fondre au sein de la CEDEAO. Les Chefs d’Etat de la CEAO, ont tous souscrit à l’adoption de cette résolution. Deux mois plus tard, le rappel à l’ordre tombe. Réunis, à Bamako, les Chefs d’Etat de cette Organisation, adoptaient une nouvelle résolution, affirmant que CEAO et CEDEAO pouvaient coexister dans le même espace, à l’instar du Benelux au sein du Marché Commun Européen.

Il apparait alors, que le principal objectif de la création et de la CEAO et après de l’UEMOA, semble être de faire contrepoids, à la fois politiquement et économiquement au Nigéria, chef de file de la CEDEAO, géant de l’Afrique de l’ouest avec ses 190 millions d’habitants et un Produit Intérieur Brute une fois et demi supérieur à celui de toute l’UEMOA réunie. Or, peut-on sérieusement envisager une intégration ouest-africaine digne de ce nom sans le Nigéria ? Mais en se remémorant du fait que l’un des plus farouches opposants au projet d’intégration sous régionale unique englobant le Nigéria, au début des années 1970, était surtout la Côte d’Ivoire, la tête de pont de la France en Afrique de l’Ouest, le regard se tourne aussitôt vers l’hexagone. Et d’ailleurs, il suffit de se souvenir de l’aide que la France, via la Côte d’Ivoire, à apporter aux rebelles dans la guerre du Biafra, avec comme objectif, le morcellement du Nigéria et donc, l’affaiblissement de l’influence britannique dans la région.

Même feutrée, la bataille de tranchée, depuis plus de cinquante ans, continue à faire rage en Afrique de l’Ouest. Il se dégage comme un parfum de guerre coloniale par africains interposés.

UNE INTEGRATION DEVOYEE ?

Ces Communautés économiques auraient pu constituer sûrement des approches fort intéressantes et prometteuses, capables d’accélérer le processus d’intégration des Etats qui les composent, si elles ne comportaient pas certaines tares originelles qui les condamnent à plus ou moins long terme.

La première de ces tares réside, sans nul doute, dans l’arrimage de l’UEMOA et de la CEMAC à la France par le biais de la monnaie, le FCFA, Franc de la Communauté Financière Africaine à l’ouest et de la Coopération Financière Africaine au centre, que les moins politiquement corrects, continuent d’appeler par son nom originel, le Franc des Colonies Françaises d’Afrique.

Cette construction permet à ses entreprises de renforcer leur mainmise sur les secteurs porteurs des économies de ces Etats qu’elle a su regrouper autour de la zone Franc. Par des mécanismes bien élaborés, les richesses qui y sont produites, sont drainées principalement vers la France et l’Union Européenne. Mêmes les subventions qui sont accordées, grâce au système de l’aide liée, se retrouvent, pour une large part, dans leurs circuits économiques, les Etats africains ne se contentant que de la portion congrue. Le cas de l’UEMOA est assez symptomatique de cette réalité. Cette organisation qui vient de fêter ses 25 ans le 10 janvier 2019, ne remplit que peu l’une de ses principales vocations, à savoir le développement des échanges commerciaux entre ses membres. Ces échanges intra-communautaires annuels tournent péniblement autour de 10%. Autrement dit, près de 90% des échanges de la zone se fait avec l’extérieur et principalement avec les pays de l’Union Européenne (UE). A titre de comparaison, les échanges intra-communautaires au sein de l’UE sont de l’ordre de 65%. Comparaison n’est certes pas raison, mais tout de même !

De nombreux Accords signés par les pays de la zone UEMOA, que ce soit l’Accord de Partenariat Economique (APE) ou celui de la Facilitation des Echanges (AFE), apparaissent dans la forme comme bénéfiques, mais ne visent en réalité qu’à ouvrir d’avantage le marché sous régional et rendre son exploitation plus aisée pour les entreprises occidentales.
Alors à qui profite cette zone économique ?

La seconde tare réside dans le fait que, les Etats membres de ces Unions n’arrivent tout simplement pas à mettre en place des structures politiques de type fédéral ou confédéral. D’aucuns diront, avec des arguments solides, qu’ils en sont empêchés.

Toujours est-il que c’est l’évidence même que d’admettre qu’un Gouvernement Central et un parlement fédéral seront bien moins malléables que les micros Etats.

La troisième tare réside, comme indiqué plus haut, dans le fait qu’on ne peut aborder les problèmes relatifs à l’intégration sous régionale surtout ouest-africaine, sans tenir compte des Etats d’expression anglaise, notamment, de cet extraordinaire pôle de développement économique et humain que constitue la République Fédérale du Nigeria et, de plus en plus le Ghana.

Il convient de s’arrêter un moment sur les particularités qui s’attachent aux pays anglophones et francophones par rapport à leur mode de colonisation.
La différence majeure ne tient pas seulement du domaine linguistique qui est le support de la pensée, mais tient, aussi et surtout, du comportement, autant de l’Etat post colonial que des populations en général.

On observe que dans les pays anciennement colonisés par les Anglais, les Etats post coloniaux, qui ne subissent aucune interférence directe de la part de l’Angleterre, de façon pragmatique, donnent plus de liberté d’entreprendre à leurs populations. De ce fait, celles-ci sont plus industrieuses, plus créatrices et évoluent dans un contexte d’ouverture et de compétitivité. Elles battent pour la plupart, leur monnaie. Les progrès accomplis dans beaucoup de ces pays, depuis cinquante ans, sont très importants. Nombre d’entre eux commencent à sonner à la porte du Club des Pays Emergents. Le Président OBAMA, en choisissant le Ghana, pour sa première et seule visite officielle sur le continent noir et en y prononçant son message à l’endroit des africains, ne s’y est pas trompé.

A l’inverse, on observe que les pays d’expression française s’attachent bien plus à l’aspect formel et futile des choses. Ceci transparaît dans tous les actes qui se posent au quotidien, tant au niveau individuel que dans la vie de l’Etat. Les interférences de la France dans leur gestion, notamment du choix des dirigeants, a favorisé le développement de toutes sortes de mauvaises pratiques : une démocratisation en trompe-l’œil ; des clauses sécrètes garantissant aux chefs d’Etat adoubés le maintien au pouvoir avec des présidences à vie, voire dynastiques; l’intimidation et jusqu’à la liquidation de tous ceux qui ont osé prôner une autre forme de gestion perçue comme contraire aux intérêts de la France. Les populations africaines n’ont réellement jamais vraiment été prises en compte, les dirigeants étant surtout redevables envers la France.

Ces pratiques, bien encouragées dans le cadre de la « Françafrique », ont enfanté toute une panoplie de maux dont en particulier la corruption, le mal absolu et ont été, dans une très large mesure, la cause du retard des pays francophones d’Afrique sur ceux d’expression anglaise. L’expérience des quarante dernières années des politiques d’intégration, notamment en Afrique de l’Ouest, démontre à suffisance que les Etats anglophones potentiellement les plus riches, n’accepteront pas de s’associer à des Unions sous la férule de la France. Or, sans eux, les schémas économiques que ces Unions veulent mettre en œuvre, notamment dans le domaine des échanges commerciaux (tarifs extérieurs communs, zone de libre-échange, etc.), de l’industrie, de l’agriculture, des transports, des Banques sont, à terme, sinon, voués à l’échec, du moins ne permettront pas d’atteindre le plein effet de l’ouverture de l’espace régional, la fluidité recherchée dans la libre circulation des hommes , des biens et des capitaux, et , à terme, l’intégration politique des Etats .

Aujourd’hui et plus encore demain, ces pays d’expression anglaise, auxquels s’ajoute la République Sud-africaine, seront les épicentres à partir desquels les flux économiques et humains rayonneront sur le continent.
La quatrième tare tient au fait que la France a su imprimer dans le subconscient de l’élite africaine de son pré-carré, que les décisions qu’elle prend, les actes qu’elle pose, par africains interposés, sont de nature à favoriser le développement de leur pays, alors que beaucoup ne sont, en réalité, que des moyens pour accentuer sa mainmise. Jacques Foccart ne disait-il pas : « ce qui est bon pour la France est bon pour l’Afrique ». La recette, éprouvée depuis cinquante ans, consiste à créer des Institutions gérées par des africains reconnus pour leur compétence. Ces responsables, cependant, pour toutes décisions de nature politique, sont obligés de recourir aux différents Gouvernements lesquels, à leur tour, ne peuvent quasiment rien faire sans l’aval de la France.
Parallèlement, la politique d’intégration est également plombée par la fracture linguistique, entretenue par la France dans le cadre de sa politique de défense et du développement de la langue et de la culture française matérialisée par la Francophonie. L’exception culturelle qu’elle défend notamment face à la culture anglo-saxonne est, il faut le reconnaitre, portée essentiellement par ses anciennes colonies africaines. Au fil du temps, de culturelle, la francophonie, depuis la rencontre de l’Ile Maurice est devenue politique.
La prise de position, sans équivoque, du Secrétaire Général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, en Mars 2011, à propos des évènements de la Côte d’Ivoire, l’atteste clairement. Ce recentrage politique est également apparu en 2018 dans la nomination de la ministre des affaires étrangères du Rwanda, pays qui a pourtant ostensiblement tourné le dos à la France et adopté l’anglais comme langue officielle. Il fallait certainement cela pour espérer le faire revenir dans le giron francophone.

NOUVELLES POLITIQUES EN PERSPECTIVE ?

Le ton de ce changement a été donné par le Président Sarkozy qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, n’appartient pas à la génération de la colonisation, donc moins madré par la « Françafrique ». La grand-messe de la France-Afrique de Nice en 2010, a été élargie au Nigeria, à la République Sud-Africaine et à l’Egypte. Curieuse initiative ! Le Cap / le Caire, l’Ouest africain/ Le Caire ! Ceci n’est pas s’en rappeler les axes de la pénétration coloniale de l’Angleterre et de la France. Le président Macron, avec sa visite officielle de trois jours en Egypte en fin janvier 2019, s’inscrit dans cette continuité.
Ces trois pays étant les épicentres humains et économiques de l’Afrique de demain, veulent-ils positionner leur pays dans la lutte qui sera implacable, d’une part, entre les pays de l’hémisphère Nord entre eux, et, d’autre part, entre eux et les pays émergents, pour le contrôle du continent africain ? Aller savoir !
L’axe Paris, le Caire, le Cap et Abuja, progressivement, se met en place ! Une nouvelle politique africaine de l’hexagone est en marche. L’avenir nous dira quels en seront les contours précis !
Et si la France envisage déjà d’établir des relations plus prononcées avec les pays anglophones d’Afrique, qu’attendent donc les pays francophones d’Afrique qui sont aux premières loges, d’en faire de même ? Vont-ils encore et toujours attendre qu’on leur dise quoi faire ?
En tout état de cause, de nouvelles donnes sont en train de bouleverser l’échiquier mondial. En Europe, la sortie de la Grande Bretagne de l’UE, le fameux Brexit, aura sans aucun doute un impact sur les pays africains. Elle va certainement chercher à resserrer ses liens avec les états africains du Commonwealth. La tournée de la première ministre MAY en Août 2018, en Afrique du sud, au Nigéria et au Kenya, s’inscrit dans cette logique.
Cette scission européenne va-t-elle creuser davantage le fossé entre anglophones et francophones africains ? Les dirigeants africains se préparent-ils à ces luttes d’influence qui assurément ne feront que s’amplifier ? Quels en seront les impacts sur l’intégration africaine ? Autant de questions qui, comme d’habitude, ne semblent faire l’objet d’aucune réflexion sérieuse sous le ciel d’Afrique.
Ailleurs dans le monde, la montée des populismes dans de nombreux pays et le repli sur soi qui va avec, la crise migratoire en Europe et aux Etats-Unis, le regain du terrorisme international, l’accentuation de la pauvreté surtout en Afrique subsaharienne, etc. sont autant d’éléments qui doivent interpeler les africains sur la nécessité de s’unir et de présenter un front commun.

L’INTEGRATION AFRICAINE : UN VŒU PIEU ?

Depuis la création de l’OUA en 1963, les réunions des Chefs d’Etat africains, d’année en année, se succèdent, d’une capitale à une autre, précédées par une multitude de réunions de Ministres et d’Experts. Ces réunions ont abouti à beaucoup de réaménagements, tant au niveau des objectifs, que des organes chargés de la mise en œuvre des décisions. Le continent reste cependant toujours hérissé de barrières. Les Etats n’ont pas cédé la moindre parcelle des attributs de leur souveraineté. Les organes mis en place, en dépit de leur appellation, ne sont, somme toute, que des Secrétariats Généraux chargés de liquider les affaires courantes et de préparer les agendas des rencontres.
Au fil des rencontres des Chefs d’Etat, ceux-là choisissent de débattre de toutes questions sauf de l’essentiel : le transfert, tout ou partie, des attributs de la souveraineté à un Gouvernement Continental. Et si d’aventure, l’un quelconque des Chefs d’Etat, s’avisait à proposer des réformes fondamentales, il se trouvera toujours un groupe de pays pour les torpiller et pour bloquer l’initiative. Cela ne les empêchera pas de se saisir de toutes occasions pour affirmer leur panafricanisme et leur engagement sans faille pour la réalisation de l’Union Africaine.
Au final, en cinquante ans, l’intégration africaine n’a pas véritablement évolué. Il est fort à parier, que longtemps encore, elle restera dans le domaine des vœux pieux pour au moins deux raisons majeures.
La première réside dans le fait que le piège tendu par les anciennes puissances coloniales dans les années soixante, à savoir, encourager et entretenir la division, a admirablement bien fonctionné. Nantis de leurs nouveaux statuts, les Gouvernements africains ont cultivé, depuis, un nationalisme étriqué et tout azimut, tant à l’intérieur du pays que dans les relations avec le reste de l’Afrique et du monde. De nombreux Etats africains cultivent, à l’instar de certains pays européens, la discrimination de l’étranger africain: celui-ci connaît la clandestinité, les geôles, l’expulsion manu militari, la confiscation des biens durement acquis, l’humiliation des vols charter.
De même, pour un bout de terrain, une petite île, une enclave de quelques kilomètres carrés de cet immense continent, que de contestations, de conflits. A l’inverse, les populations africaines, du fait de leur histoire, de leur mode de vie, ont un besoin irrépressible de circuler librement à travers les vastes espaces du continent. Il n’y a aucun Etat africain qui ne possède son contingent d’immigrés en provenance des pays voisins. Cette propension à voyager, soit pour faire du commerce, soit pour vendre sa force de travail, soit pour rejoindre des proches, confère au continent, son extraordinaire richesse culturelle et son dynamisme. L’Afrique connaît, indéniablement un tel brassage des populations et une si forte demande de mobilité des facteurs de production, que les frontières, arbitrairement tracées, apparaissent tellement inappropriées.
Il est indéniable que la renonciation aux attributs de la souveraineté nationale au profit d’un ensemble plus vaste, implique, de la part des Etats, des sacrifices que les leaders africains ne sont pas près de faire, soit par égoïsme national, soit tout simplement parce qu’ils ne sont pas maîtres des décisions politiques de cette importance.
Tous savent, pourtant, que les Etats-Nation, depuis cinquante ans, sont régulièrement sont mis à rudes épreuves du fait des revendications autonomistes, avérées ou latentes, des conflits ethniques transfrontaliers, attisés, parfois, par des politiciens en mal d’électorat. Ils savent, à l’évidence que ce concept d’Etat/Nation doit être revisité pour être en phase avec l’évolution du continent.
Tous savent, que leur diplomatie émiettée et leurs Armées Nationales qui n’ont pas les moyens adéquats d’assurer « la défense du territoire national », constituent de lourds fardeaux, que leurs Budgets, toujours déficitaires, ne peuvent supporter.
Que d’économie l’Afrique pourrait- elle faire si tant est que les Etats s’accordent, par exemple, pour assurer, en commun leur représentation sur l’échiquier mondial !
Que d’économie pourraient- ils réaliser en créant une force commune de défense, pour lutter contre la criminalité transfrontalière, notamment le trafic de la drogue, le terrorisme qui deviennent une menace pour le continent.
Les attributs classiques de la souveraineté nationale, ont-ils encore un sens dans un monde où les plus forts disposent de tous les moyens pour dicter leurs volontés aux faibles ?
Tous savent, enfin, que, pris individuellement, les pays, malgré l’importance des ressources matérielles et humaines, ne peuvent affronter les grands ensembles qui se constituent à travers le monde et, qu’en conséquence, leur survie dépendra de leur intégration. Pour aborder les enjeux de la mondialisation et les problèmes de développement humain qui transgressent les frontières artificielles, tous les Etats africains ont besoin les uns des autres. Dans les quarante prochaines années, ce continent comptera deux milliards et demi d’habitants dont les soixante pour cent auront vingt ans.
Quel défi et, en même temps, quel formidable espoir !
A la condition toutefois qu’ils soient capables de voir grand et de proposer aux populations, surtout dans sa frange juvénile, des raisons de croire et de s’engager.
Au lieu de quoi, l’élite politico-administrative se garde bien de leur expliquer que l’Afrique divisée, affaiblie du fait de son émiettement politique, est de nouveau prête, à se livrer à ses maîtres de toujours, pour de nouvelles aventures dont elle est incapable de cerner les contours.
Ils le savent, mais ils sont incapables de réaliser cette intégration du continent. Aussi, choisissent-ils de faire semblant d’y travailler en se réunissant continuellement et espèrent, comme toujours, qu’un arbitre viendra mettre fin à leurs querelles byzantines et fratricides.
La seconde réside dans le fait, que les Etats africains surtout francophones, depuis cinquante ans, sont sous tutelle sans quasiment aucune marge de manœuvre politique ou économique. Une Union Africaine qui permettra, demain plus qu’aujourd’hui, l’émergence d’une nouvelle puissance, signifierait, à coup sûr, la fin des politiques d’influences. Et de ça, il ne saurait en être question.
C’est cette logique qui a permis d’étouffer toutes les initiatives africaines de regroupement à la fin des années cinquante. Depuis, là où il y’a des regroupements d’Etats, ceux-là sont conçus et dictés par les puissances extérieures en fonction exclusivement de leurs intérêts.
De même, toutes idées, toutes initiatives, qui ne sont pas inspirées ou dictées par l’extérieur, sont vouées, irrémédiablement, à l’échec. Dans l’incapacité de se réaliser elle-même, d’inventer une voie qui lui est propre, elle se contente de suivre la voie qu’on lui indique, de copier, de plagier, et mal en plus.
Cela se vérifie dans la perturbation du paysage économique de la sous-région ouest-africaine, éclatée entre une multitude d’organisations à vocation d’intégration. Pour la plupart, celles-ci végètent dans des difficultés qui les empêchent d’atteindre leurs objectifs.
Cela se vérifie aussi dans la lente agonie du Nouveau Partenariat pour le Développement en Afrique (NEPAD). Ce projet de développement à l’échelle continentale, initie par des dirigeants africains de l’Algérie, de l’Afrique du sud, du Nigéria et du Sénégal, devait permettre à l’Afrique de résorber son retard sur le reste du monde, notamment en matière d’infrastructures. Globalement, les objectifs portaient sur l’éradication de la pauvreté, la promotion de la croissance et du développement durable, l’intégration pleine et entière de l’Afrique dans l’économie mondiale, l’accélération de l’autonomisation des femmes africaines.
Il avait suscité de grands espoirs sur tout le continent. Sa mise en œuvre effective aurait permis, certainement, de transcender les barrières territoriales, politiques, linguistiques et économiques, lesquelles constituent, aujourd’hui, la grande faiblesse du continent. Sa réalisation nécessitant d’importantes sommes d’argent, il aurait fallu une volonté politique affirmée de tous les Etats africains en vue de mobiliser les ressources nécessaires.
Malheureusement, au fil du temps, de moins en moins, mêmes les plus engagés des dirigeants africains et de la Société Civile africaine, n’en parlent presque plus. Ce programme se meurt comme sont mortes toutes les idées panafricanistes.
Ainsi, depuis plus de trente ans, l’ancienne puissance coloniale se taille, dans sa zone d’influence, une intégration sur mesure, moins pour le bien-être des populations africaines, que pour les besoins de ses capitaines d’industries à la recherche du profit maximum. Pour ce faire, elle s’appuie sur des Gouvernements à sa solde et sur des Organisations conçues à cet effet. De ce fait, les progrès accomplis dans le domaine de l’intégration économique et politique, autant au niveau continental que sous régional, sont très peu significatifs.
Chaque année cependant, dans la capitale d’un des cinquante-quatre Etats du continent, depuis leur première rencontre en 1963 à ADDIS ABEBA, les dirigeants africains, se réunissent, pour mettre l’accent sur la nécessité de réaliser l’intégration sous régionale, régionale et continentale.
A la différence de nombreux dirigeants africains qui ont conduit leur pays à l’indépendance, la plupart de ceux qui sont aux affaires, aujourd’hui, ne croient pas aux vertus de cette intégration et préfèrent se satisfaire de leur situation privilégiée dans leur petit pays. Sans quoi, que de possibilités ne sont-elles pas offertes à eux pour renoncer à certains attributs de leur souveraineté, et bâtir une nouvelle Afrique, forte de ses richesses matérielles, humaines et intellectuelles.
L’Union Africaine, il convient de le relever, a, à certaines occasions, laissé transparaitre toute son incongruité et sa faiblesse. Les crises en Côte d’Ivoire et en Lybie ont été très révélatrices de son instrumentalisation. Elle s’est rangée derrière les pays occidentaux et leurs alliés de la Communauté Internationale qui se sont mobilisés et acharnés militairement sur ces deux pays africains, avec comme objectif, maintenant clairement su, de chasser du pouvoir les dirigeants qui n’offraient plus les garanties au maintien des intérêts et de les remplacer par ceux de leur choix. Les velléités du Président Gbagbo à ouvrir son pays à d’autres partenariats économiques, entre autre, ont fini par sceller son destin. L’armée française est directement intervenue pour le capturer et le chasser du pouvoir. En Libye, Mouammar KHADAFI qui, ne rentrait pas dans le moule, a, en dépit de l’image caricaturale qui lui a été accolée, montré sa volonté de poser des actes majeurs pour permettre la réalisation de l’Union Africaine : le lancement du premier Satellite Africain RASCOM1, la création de la Banque Africaine d’Investissement (SYRTE), celle du Fonds Monétaire Africain (YAOUNDE) et de la Banque Centrale Africaine (ABUJA), sont autant d’engagements qui auguraient de lendemains meilleurs en Afrique et la remise en question de certains liens de dépendance. La manne pétrolière du pays et ses faramineuses recettes conféraient du crédit à cet engagement.
On comprend donc, aisément, l’empressement de l’hexagone à avoir été le premier à frapper militairement la Libye.
A défaut de s’opposer à cette politique de la canonnière, l’Union Africaine s’adonne à la tartufferie pendant que les Etats qui la composent préfèrent, tout au moins, garder profil bas : il y a des moments où se taire devient plus que coupable et honteux !
Il est vrai que le courage politique est devenu une denrée rare dans l’Afrique des drapeaux et des hymnes.
A la décharge de l’UA, il faut reconnaître, cependant, qu’elle repose sur un sol plus que meuble, fait d’Etats totalement inféodés aux puissances occidentales. « Ce géant aux pieds d’argile » n’a d’autres ressources que tenter de rallier à des compromis douteux, des Etats aux intérêts si divergents.

Incontestablement, ces évènements participent de la prise de conscience des africains. Ils vont commencer à comprendre que le salut de leur pays et du continent, ne peuvent venir que d’eux-mêmes et finir par se convaincre que le présent et l’avenir appartiennent aux grands ensembles.

A partir de là, la nature des relations entre la France et les états francophone d’Afrique devrait être sérieusement repensée. La France est un grand pays dont la voix compte au plan international. Elle a beaucoup apporté au monde. Les relations séculaires tissées avec l’Afrique sont sans conteste un atout extraordinaire pour elle dans son positionnement sur l’échiquier mondial. Il faut qu’il en soit de même pour l’Afrique. Si ce qui est bon pour la France l’est pour l’Afrique, alors, de la même façon qu’elle agit et pousse à une Europe plus unie et plus puissante, elle gagnerait à encourager et faciliter une vraie intégration dans sa sphère d’influence africaine, à y promouvoir sincèrement et sans artifices, les valeurs humanistes, la démocratie, la bonne gouvernance qui la caractérisent. Les temps changent et l’Afrique aussi. La verticalité qui a toujours prévalu dans les relations entre la France et ses colonies africaines, ne peut et ne doit plus continuer d’être la norme. Elle sera très inspirée de comprendre que, la montée en puissance des pays émergents, la radicalisation des intégrismes, la poussée des populismes, l’accroissement de la pauvreté surtout au sud du Sahara, vont à n’en pas douter, influer fortement sur la géopolitique mondiale et remodeler les positions actuelles. Le maintien de son influence dépendra de sa capacité et de sa volonté à s’ajuster à ces nouvelles donnes et de revoir de fond en comble ses relations avec l’Afrique, dans un schéma qui privilégie le développement, la lutte contre la pauvreté entre autres.
Il revient aux intellectuels africains et à tous ceux qui croient en la nécessité de voir l’Afrique s’unir, de réfléchir et lancer le débat sur une autre politique d’intégration, une nouvelle approche de la politique de rapprochement des peuples de la sous-région et de l’Afrique.
Quant à la jeunesse africaine, fer de lance de toute révolution, elle doit comprendre, qu’aussi longtemps qu’elle n’opérera pas sa reconversion mentale et obliger ses dirigeants à se mettre au service de leur peuple, sans démagogie et sans mensonge, l’intégration politique sous régionale et continentale restera du domaine des vœux pieux.
Enfin, à tous ceux qui ont la responsabilité de guider leur peuple, à quelque niveau où ils se trouvent, ils doivent ne jamais oublier cette pensée d’Abraham LINCOLN : « on peut tromper une partie du peuple tout le temps, tout le peuple une partie du temps, mais jamais tout le peuple tout le temps ».

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