Après avoir précédemment campé la situation des pays francophones d’Afrique en matière de démocratie et de gouvernance, il s’avère nécessaire d’explorer les voies et moyens susceptibles de leur permettre de tracer de nouveaux sillons et de créer de nouveaux modèles plus en phase avec leurs cultures et à même d’impulser une nouvelle et réelle dynamique développement .
Au regard de tout ce qu’on observe, aujourd’hui, en Afrique francophone, on pourrait se demander si CHIRAC n’aurait pas eu raison, si l’Afrique est prête à embrasser la démocratie telle que voulue et conçue par l’Occident, et si elle a les moyens d’y participer ?
Pour faire bonne mesure, on admettra, toutefois, que la démocratie africaine, du haut de ses presque trente ans, est encore jeune, que les errements actuels, après des décennies de Partis Uniques et des régimes d’exception, sont la marque de ses premiers balbutiements.
A l’évidence, tout passage d’un ordre ancien à un ordre nouveau, s’accompagne nécessairement d’une période probatoire, une sorte de « maladie infantile ».
Cependant, des indépendances à nos jours, l’Afrique francophone a évolué. Elle a beaucoup investi dans les ressources humaines. Malgré les écarts qualitatifs que l’on peut observer, d’un pays à un autre, dans l’ensemble, les capacités intellectuelles existent. Elle ne peut donc plus tirer prétexte, ni de l’insuffisance des ressources humaines, ni de la précipitation résultant du « vent d’Est ».
Mais alors, pourquoi faut-il qu’elle persiste dans le plagiat du modèle de gouvernance importé ? Pourquoi faut-il qu’elle se définisse toujours en fonction de ce qui vient d’ailleurs, mais jamais en fonction de ses propres réalités cultuelles. Jusqu’où le mimétisme, le manque d’estime pour soi-même, les conduiront-elle ?
La réponse à ces questions est évidente : l’élite africaine doit abandonner cette tendance à la facilité. Elle se doit de s’atteler, très rapidement, à l’identification et à la correction des insuffisances qui entravent le bon fonctionnement de « l’Etat Africain Républicain et Démocratique », d’autant que la persistance et même l’aggravation de nombreux défis, y trouvent leur origine.
A ce stade, il convient de s’arrêter sur ces concepts d’Etat, de République et de Démocratie et de s’interroger sur la façon dont les populations les perçoivent et les vivent dans leur quotidien, pour ensuite faire, à l’aune des valeurs africaines, un certain nombre de propositions visant à améliorer la gouvernance dans le pays africains francophones.
DU CONCEPT DE L’ETAT
Ce concept ne date pas, loin s’en faut, ni de l’intrusion coloniale, ni de l’accession des pays africains à l’indépendance. La perception qu’en ont les africains est le résultat de différentes strates, façonnées par celles de l’Afrique précoloniale, de l’Afrique coloniale et de l’Afrique indépendante. Ces strates successives du pouvoir étatique, ont, chacune, façonné des rapports particuliers entre ses détenteurs et les populations.
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique précoloniale
D’un bout à l’autre du continent, l’Afrique précoloniale était, depuis des siècles, hérissée d’entités parfaitement organisées au plan politique, économique et militaire. Les Empires, les Royaumes et les Pouvoirs Théocratiques, qui s’y sont succédés, ont façonné un mode de pensée et d’organisation des sociétés africaines. On relève d’abord, que la société africaine est très fortement hiérarchisée. Dans cette stratification sociale, la notion de chef est l’une des plus fondamentales, de la cellule familiale au clan, du village à l’autorité suprême. Cette organisation de la société repose sur des clivages à tous les niveaux. Pour chaque individu, pour chaque composante, pour tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir, la voie est balisée par des règles. Toute transgression fait l’objet de condamnation et de sanctions sous diverses formes. Ces us et coutumes confèrent à tous et à chacun des droits et obligations et assurent l’équilibre et la stabilité de la société. On relève ensuite, que tout pouvoir, en Afrique, comporte une dimension spirituelle. Il est enveloppé d’une sorte de mysticisme et est considéré comme sacré. Dans les pays sahéliens de tradition musulmane, il est d’essence divine : on l’acquiert ou on le perd selon la volonté de Dieu. Dans les pays de tradition animiste, le détenteur du pouvoir est le lien avec les ancêtres dont on honore l’esprit dans toutes les manifestations de la vie quotidienne.
Il repose sur une organisation verticale dont la base est constituée par la famille, ensuite le clan, la chefferie et un pouvoir suprême. Il comporte, aussi, différents niveaux de chefferies, lesquelles participaient au fonctionnement de l’entité centrale par le paiement d’impôt, l’effort de guerre, les travaux d’intérêt général etc…Ces détenteurs du pouvoir sont soumis à des règles strictes, à des principes qui ne peuvent être transgressés sous peine d’être frappés d’infamie. Ainsi, les Etats précoloniaux avaient leurs systèmes de contre-pouvoir ainsi que leur système de transmission du pouvoir qui, généralement se faisait de père à fils à moins que des impondérables ou des révolutions de palais ne viennent bouleverser l’ordre des choses. Par exemple, dans beaucoup de Royautés Bamanan, dès lors qu’il était convenu que « la semence de mil a vieilli ! », les forces armées, (les Tondions), s’emparaient du pouvoir et intronisaient un nouveau chef, lequel créait une nouvelle dynastie. On relève enfin, que l’exercice du pouvoir, en Afrique précoloniale, se caractérise par la prééminence de la force. Le Monarque est investi de tous les pouvoirs. Il a droit de vie et de mort sur ses sujets.
C’est de là que naît cette obéissance aveugle au détenteur du pouvoir, la discipline collective et le respect de tous. C’est, également de là, que naissent l’aura, de même que le panache qui sied à celui qui le détient.
Cependant, s’il est investi de tous les pouvoirs, il est attendu de lui, qu’il soit fort mais juste.
Force et justice, sont deux des piliers sur lesquels reposent les sociétés traditionnelles africaines.
Ces perceptions du pouvoir se heurtent à de nombreuses valeurs que comporte le concept de démocratie : le concept de l’alternance du pouvoir, celui du renouvellement périodique des mandats, du nivellement par la base, de l’égalitarisme, etc…
Concilier ces valeurs ancestrales avec celles qui résultent de la démocratie, reste une des problématiques majeures de l’Etat moderne africain !
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique coloniale
Dans l’Afrique coloniale, en dépit des différences dans leurs méthodes de colonisation, toutes les puissances occidentales qui ont conquis l’Afrique, ont compris que pour administrer efficacement leurs possessions, il leur fallait s’appuyer sur des structures locales.
Certaines puissances coloniales ont maintenu telles quelles les structures organisationnelles dans lesquelles évoluaient les populations des régions conquises (indirect rules). D’autres, les ont liquidées pour la plupart, pour s’être opposées à la pénétration coloniale et les ont remplacées par de nouvelles structures créées de toute pièce. Ainsi dans ses possessions africaines, la France coloniale faisait cohabiter deux types d’administration. La première relevait du Ministère Français des Colonies et s’appuyait sur deux structures centrales, dirigées par les Gouverneurs Généraux de l’Afrique Occidentale Française (AOF) depuis Dakar et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) depuis Brazzaville, ainsi que des Territoires Coloniaux dirigés par des Gouverneurs Territoriaux. Ces entités fonctionnaient en s’appuyant sur une kyrielle d’agents« indigènes » , préposés aux tâches subalternes, d’administration, d’interprétariat, de gardes et de gens de maison. La seconde reposait sur les pouvoirs traditionnels matérialisés par les Chefferies de Canton, de Villages et de Fractions, des Autorités Religieuses et Traditionnelles.
Cette administration coloniale était d’une extrême efficacité. L’ordre et la discipline était de rigueur. L’autorité, s’exerçait dans tous les domaines.
Ce pouvoir colonial se caractérise par sa brutalité et son efficacité. La puissance publique s’exerce dans toute sa plénitude.
Aujourd’hui, au regard du désordre et du laisser-aller généralisé dans maints pays africains, on est presque à regretter que cette période soit, à jamais, révolue.
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique post coloniale
En Afrique post colonial le concept de l’Etat a connu une grande évolution. Deux périodes bien distinctes peuvent être observées. La première porte sur la période allant des indépendances au début des années 1990. Les problèmes de gouvernance sont apparus à partir du moment où les attributs de la souveraineté ont été transférés aux nouveaux Etats indépendants. A leur décharge, cependant, on relèvera, qu’au moment de leur accession à l’indépendance, ils n’étaient pas réellement préparés aux nouvelles responsabilités découlant de la souveraineté nationale. Ils n’ont eu, en conséquence, d’autres alternatives que de se référer au seul modèle qui s’offrait à eux : celui de leur ancienne puissance coloniale. Ainsi, la mise en place de l’Etat nouveau a consisté à créer une administration nationale dont la mise en œuvre s’est résumée à remplacer les administrateurs coloniaux par des nationaux, d’une part, et à maintenir, d’autre part, les structures traditionnelles, avec, il est vrai, des nuances d’un pays à un autre.
A noter que les régimes d’exception, qui ont longtemps occupés la scène politique dans ces pays, n’offraient pas un cadre idéal pour engager des réformes dans la gouvernance de ces pays. La seconde porte sur la période allant de 1990 à nos jours, période marquée par l’émergence de la démocratie comme mode de gouvernance.
Les bouleversements intervenus dans la plupart des Etats ont entraîné la nécessité de réorienter leur administration pour la rendre capable d’impliquer les populations dans le processus de développement politique, économique, social et culturel du pays.
Ainsi, des Réformes Administratives, accompagnées d’un redécoupage du territoire national et l’apparition de nouvelles entités, ont été engagées dans de nombreux Etats. Parallèlement de nombreux organes ont été créés. Beaucoup de textes, y compris, les Constitutions ont été revus pour les adapter à l’évolution politique, économique et sociale de ces pays. Mais la plupart de ces réformes n’ont pas totalement atteint les résultats escomptés, pour les raisons les plus diverses. La Décentralisation et la Déconcentration Administratives n’ont pas encore permis aux nouveaux organes de jouir pleinement de tous leurs attributs.
Cependant, dans la quête de leurs besoins en matière d’administration publique, les populations la subissent, au quotidien, comme au temps de la colonisation avec, cependant, une différence de taille : si l’administration coloniale était d’une grande efficacité, celle des Etats indépendants se caractérise par le désordre, le laisser-aller le tout se traduisant par une incompétence notoire et une corruption qui ne se cache même plus.
En définitive, malgré ces nombreuses réformes, les Etats africains continuent de vivre au rythme de la confrontation entre deux modes de vie et de pensée, entre des normes et des codes occidentaux et ceux de l’Afrique traditionnelle.
On relèvera à cet égard que dans les pays côtiers, toutes les grandes ethnies ont conservé leurs structures originelles avec leurs Rois, qui sont présents dans toutes les manifestations de la vie courante. Dans les Etats soudano-sahéliens, où la religion musulmane est prépondérante, on relèvera l’existence des Grandes Familles, le plus souvent Théocratiques, qui sont les autorités morales et les garants de la stabilité du pays.
Les Etats africains continuent de vaciller entre ces différents courants. A maintes occasions, lorsque les reformes sociétales proposées s’opposent à la vision traditionnelle, la puissance publique arrive rarement à les faire aboutir et finit la plupart du temps par céder, révélant ainsi son extrême fragilité.
Cette tendance de la classe dirigeante à se soumettre à l’autorité traditionnelle, incontestablement, traduit son inconfort. Alors elle s’adonne à un jeu d’équilibrisme, surtout en période électorale, entre ces différents courants de pensée, incapable de choisir une voie. Le sort qui a été réservé à la réforme du Code de la Famille, proposée récemment par les autorités maliennes, en est un parfait exemple.
L’Etat postcolonial se caractérise par une certaine faiblesse !
Il ne peut y avoir une gouvernance de qualité dès lors que la puissance publique perd sa crédibilité et son autorité.
DU CONCEPT DE REPUBLIQUE
La République, repose sur le principe du partage du pouvoir entre différentes Institutions mais aussi sur le fait que la fonction de Chef de l’Etat n’est pas héréditaire.
A travers le monde, existent plusieurs formes de République.
En occident, elles sont généralement de type parlementaire dans lequel les fonctions de Chef de l’Etat sont distinctes de celles de l’Exécutif qui sont assumées par le Parti majoritaire.
Il en était ainsi, en France, jusqu’à ce que les évènements d’Algérie et de Corse n’entraînent l’adoption de la Constitution de la Vème République, en 1958. Elle crée un régime Présidentiel dans lequel le Président, en même temps Chef de l’Etat, nomme et révoque le Gouvernement.
A leur accession à l’indépendance, les nouveaux Etats francophones, nés dans le contexte de cette Vème République, adoptèrent presque tous cette forme de gouvernance. Avec bien évidemment, quelques nuances selon leurs orientations politiques en fonction des deux blocs qui dominaient le monde.
Ce choix des années soixante peut parfaitement se comprendre. Ces nouveaux Etats africains francophones, faute de préparation suffisante, n’avaient d’autres choix, que de créer des structures similaires à celles de « la métropole ».
Cependant, au regard de ce qu’on observe, depuis plus de cinquante ans, dans les Etats francophones africains, il faut reconnaître que ce concept de République, est mis à rudes épreuves dans quasiment tous ces Etats.
République et Régimes d’exception
On relèvera d’abord que tous les pays francophones, à l’exception de deux Etats, ont connu, à un moment ou un autre, des Régimes d’exception résultant de l’immixtion des Forces Armées dans la vie politique.
Ces coups d’Etat, comme on le sait, s’accompagnent, toujours de la suspension de la Constitution et de la suppression des libertés individuelles et collectives. Dès lors qu’un homme ou un groupe d’hommes s’empare, pour quelques raisons que ce soit, des rênes du pouvoir, violant de ce fait, le serment de défendre la République, celle-ci, à l’évidence, s’efface !
Il convient, du reste, de s’arrêter un moment sur cette irruption de l’Armée sur la scène politique en Afrique.
D’abord, celle-ci a laissé des traces indélébiles dans la vie politique de tous les pays où elle a eu lieu. Attribut essentiel de la souveraineté nationale, elle est souvent la seule force véritablement organisée, en dépit de l’existence d’une multitude de Partis Politiques et, peut-être, précisément à cause de cet émiettement de la vie politique. Véritable microcosme de la société, sans ancrage politique directement avéré, elle ne peut pas, à l’évidence, rester indifférente aux problèmes qui se posent dans cette société. Les évènements politiques qui surviennent dans maints pays africains l’obligent à sortir de ses casernes soit pour arbitrer entre les protagonistes, soit pour prendre le pouvoir, à titre transitoire ou parfois de façon définitive. Elle devient, souvent, le dernier recours ou parfois une véritable épée de Damoclès !
République et Régimes à Partis Uniques
De nombreux Etats ont connu, à un moment ou à un autre, les Partis Uniques et leur mainmise sur l’appareil gouvernemental. Ces régimes, dans leur fonctionnement, donnent naissance au Parti-Etat et au culte de la personnalité. Le pouvoir est très centralisé, les Institutions sont inféodées au Parti. Le pouvoir personnel s’instaure. C’est le modèle des démocraties populaires, une autre façon de concevoir la notion de République.
Mais, celle qui consiste au partage du pouvoir entre différentes Institutions qui doivent s’équilibrer entre elles, à l’évidence, s’efface !
République et Régimes démocratiques
On aurait pu espérer que l’apparition de la nouvelle forme de gouvernance démocratique, favoriserait ce partage du pouvoir.
On relève, cependant, deux observations majeures. D’abord, en Afrique francophone, la démocratie s’est traduite par l’émergence d’un concept particulier : celui « du petit père du peuple », l’alpha et l’oméga de toute la vie politique du pays. L’exercice de la fonction suprême de Président de la République, dans tous ces Etats africains, se résume « au fait du prince » . La gestion patrimoniale du pays se met en place, parfois, pendant des décennies. Il arrive que, de temps en temps, cet ordre se trouve perturbé par des réclamations, soit d’une partie de la population qui entre en rébellion, soit d’une minorité, comme le monde universitaire et scolaire ou les Forces Armées.
Comme dans les Partis Uniques, les Institutions Républicaines deviennent, ou monocolores (Assemblée Nationale) ou inexistantes (Sénat, Cour des Comptes, Haute Cour de Justice etc…) ou tout simplement inféodées au pouvoir en place (Cour Suprême, Cour Constitutionnelle). Les Centrales Syndicales sont sous contrôle du pouvoir ou engluées dans des revendications salariales. L’opinion Publique est balbutiante et inactive. La Presse, bien que florissante, ne réussit pas à se hisser au rang de quatrième pouvoir. L’opposition politique, pour autant qu’elle existe, est muselée ou marginalisée.
En somme, il n’existe pas véritablement de balises, non pas que les textes n’existent pas, mais, tout simplement, parce qu’ils souffrent, soit d’une mauvaise application, soit du refus de les appliquer, pour les raisons les plus diverses. Ensuite, on relèvera que les régimes africains dérivent vers des monarchies qui n’osent pas dire leur nom. Il n’est que de voir les postures, les faits et gestes de nombreux dirigeants africains et de leur plus proche entourage, pour comprendre qu’ils ressemblent, à si méprendre, à ceux d’un Monarque absolu.
La plupart des régimes africains se situent quelque part entre République et Monarchie.
Là aussi, la République, incontestablement, s’efface !
DU CONCEPT DE LA DEMOCRATIE
Trente ans après le vent d’Est, le paysage politique de l’Afrique a beaucoup changé. Les Partis Politiques fleurissent. Les élections à différent échelons, s’organisent. Le langage politique prend une nouvelle tournure. Un nouveau système de gouvernance, s’installe dans les mœurs politiques des Etats francophones d’Afrique.
Dans le même temps, toutes sortes de dérives se font jour : le mauvais exercice de la puissance publique, l’absence d’une justice saine, l’absence de contrôle et de sanction, le tout se traduisant par l’impunité, le laisser-aller, l’accroissement de la corruption, de la prévarication, de la concussion etc.
Ces pratiques s’installent dans le corps social et deviennent la référence absolue. Alors, dans un environnement de pillage généralisé, le travail est mésestimé, le mérite et toute réussite, aussi modeste soient-ils, sont suspects et vilipendés. La médiocrité, la délation, la courtisanerie deviennent un mode de vie. La mendicité s’érige en système de gouvernement. En résumé l’Etat africain, républicain et démocratique va à vau-l’eau !
DE LA PROMOTION DES VALEURS AFRICAINES
Il faut espérer, car le contraire serait très grave de conséquences, que l’élite africaine, après près de trente ans d’exercice de la démocratie, commence à prendre conscience des insuffisances qu’elle comporte et s’attèle à la réflexion et à la recherche de solutions appropriées pour les corriger. Concilier les valeurs de la démocratie occidentale à celles de leur propre culture, bâtir un système de gouvernance dans lequel les populations se sentent libres dans leur vécu quotidien, en harmonie avec elles-mêmes et leur environnement socio- culturel, est à leur portée.
Dans cette perspective, quelques axes de réflexions peuvent être posés.
Le monde offre à cet effet toute une panoplie de régimes démocratiques : Monarchies Constitutionnelles ou Parlementaires ; Régimes Présidentiels ou Parlementaires ; Régimes Islamiques ; Républiques Populaires.
L’Afrique elle, continue de s’immerger dans la reproduction, pure et simple, de ce qui lui vient d’ailleurs en oubliant qu’elle n’a pas attendu l’invasion coloniale pour découvrir le fait politique. Ses empires et royaumes ont façonné une culture politique et un mode de pensée et d’organisation sociale.
La Constitution de Kouroukan Fouga dans l’Empire du Manding au 13ème, dont la pierre angulaire était le concept de liberté siècle et qui a précédé de plus de cinq cent ans la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en est une parfaite illustration. De même on relèvera que beaucoup de concepts, aujourd’hui en vogue dans le monde, étaient connus des africains et mis en œuvre, à travers les siècles. C’est par exemple la préservation de la biodiversité et plus généralement l’écologie qui préoccupe le monde actuel du fait du réchauffement climatique.
Ainsi, ce qui se conçoit et s’exécute ailleurs, n’est donc pas, nécessairement, ce qui convient à l’Afrique. C’est probablement cette opinion, que le Président Moussa TRAORE a tenté de faire prévaloir à la Baule, ce qui lui a valu sa disgrâce et la liquidation de son régime.
Le résultat de cette copie pure et simple des modèles importés est sans équivoque. Pour le moment, cette démocratie se vit, en Afrique, dans un environnement politique, institutionnel, juridique, économique et social malsain, peu favorable à l’adhésion populaire et à l’éclosion des capacités pour faire face aux problèmes liés à son développement.
On peut tenter d’apporter une explication sur l’origine de ces dysfonctionnements en l’analysant à partir de certaines valeurs sociétales africaines qui s’opposent au concept démocratique occidental. En premier lieu, un postulat est à retenir : On relèvera que les occidentaux imposent leurs propres critères et s’accordent pour faire de la démocratie telle qu’elle se vit chez eux, la panacée à tous les problèmes qui assaillent le continent noir, en faisant semblant d’oublier que leur système de gouvernance actuel est le fruit d’une très longue maturation et que, malgré cela, il comporte encore des insuffisances et est donc loin d’être achevé. En l’ayant fait en « prêt-à-porter » pour les africains, pouvait-on s’attendre à autre chose qu’à cet ersatz si rependu sur le continent africain ? En second lieu, l’approche consiste à identifier, en vue d’y apporter des solutions appropriées, ce que l’Afrique traditionnelle ne conçoit pas et n’accepte pas dans ce processus démocratique venu d’ailleurs. D’abord, l’Afrique supporte difficilement le principe de l’égalitarisme qui en résulte. Si cette notion se comprend dans les sociétés occidentales qui cultivent à suffisance, la primauté de l’individu sur le collectif, la sublimation du « moi » en toutes choses, les sociétés africaines, à l’inverse, valorisent le collectif : l’individu, dans toutes les manifestations de la vie, s’efface, quelle que soit sa position sur l’échelle sociale. Cependant, dans ce collectif, la hiérarchisation reste la règle d’or et détermine les rapports entre différents groupes sociaux, entre vieux et jeunes, entre hommes et femmes. Le nivellement par la base que sous-tend le concept de la démocratie occidentale, s’oppose très fortement à cette hiérarchisation des sociétés africaines. Ce que des millénaires ont façonné comme mode de vie et de pensée, cet atavisme qui dort en tout africain, rend difficile la capacité de l’africain à transcender cette stratification sociale.
Il faut donc laisser, à l’Afrique, le temps et la possibilité de trouver ses propres voies pour assurer à toutes les composantes sociales, une insertion harmonieuse dans la modernité. Cette insertion ne doit pas être faite au détriment des valeurs sociétales africaines. Sur ce point, également, les africains doivent faire prévaloir cette vertu du consensus.
Dans le même ordre d’idée, la multiplicité des ethnies, les particularités régionales et confessionnelles, posent, en Afrique, l’épineux problème de la prise en charge de cette diversité. Pendant longtemps encore, ces facteurs seront, dans beaucoup de pays africains, déterminants dans le choix des hommes et des femmes qui briguent les suffrages, dans l’acceptation de leurs messages et dans l’adhésion des populations aux programmes qu’ils proposent. Un vaste chantier de recherche, de formation et de sensibilisation s’ouvre en ce domaine ! Ensuite, l’Afrique supporte difficilement l’absence de justice sociale.
Elle souffre de la mauvaise répartition du revenu national, de la corruption financière et politique, du déni de justice, du racket au coin de la rue, dans les villages et aux frontières. La banalisation, depuis vingt ans, de ces pratiques fait que les populations africaines ont une perception rédhibitoire de la démocratie africaine. Sa survie ou, tout au moins, ses chances de réussite comme facteur de développement, dépendra de la capacité de l’élite politique à juguler ces fléaux qui entrainent inexorablement la perte de confiance entre l’élu et sa base, le désordre, la perte de l’autorité de l’Etat, la généralisation de l’impunité et le laisser-aller. Par ailleurs, l’Afrique vit difficilement le concept de l’alternance du pouvoir.
Dans les démocraties avancées qui s’exercent dans des pays qui ont résolu l’essentiel des problèmes en termes de satisfaction des besoins fondamentaux de leurs populations, l’alternance du pouvoir devient bénéfique. Le renouvellement périodique de la classe politique, à partir d’élections parfaitement organisées et transparentes, amènent au pouvoir des hommes et des femmes en charge de conduire de nouvelles politiques qui sont définies à la suite de confrontations d’idées sur les orientations du pays et des débats de société. L’implication de tous les acteurs de la vie nationale dont une Société Civile parfaitement structurée, sont autant d’éléments qui apportent des courants nouveaux, vivifiants et régénérateurs, et, cela, dans un contexte de reddition générale des comptes, qu’ils soient électifs ou financiers.
Le binôme alternance du pouvoir et nécessité de rendre compte est observé du fait que toutes les structures jouent pleinement leur rôle, dont une administration publique et un système juridique de bonne facture.
En Afrique, il en va tout à fait autrement.
Les pouvoirs politiques africains vivent mal le principe de la transmission du pouvoir et de la limitation des mandats électifs. Les tenants du pouvoir africain s’y accrochent. Ils ne le cèdent, bien souvent, qu’à leur corps défendant, en usant, de toutes sortes d’artifices et de malices pour le garder le plus longtemps. Quand bien même ils se voient contraints de le céder, ils essayeront de faire en sorte que ce soit un des leurs qui s’en emparent et que le système qu’ils ont mis en place perdure indéfiniment.
Il ne faut donc pas s’étonner de la tendance à la centralisation du pouvoir et la pérennisation des régimes en place qui caractérisent quasiment tous les pouvoirs africains, car elles reflètent parfaitement la culture politique des sociétés africaines. Il ne faut pas, non plus, s’étonner de l’immixtion fréquente des forces armées dans la vie politique africaine. Ce phénomène qui a été, pendant longtemps, le lot des Etats africains, s’inscrit parfaitement dans la tradition de l’exercice du pouvoir en Afrique.
De plus, elle supporte mal que l’usage du Droit coutumier soit relégué au rang de folklore.
Elle accepterait, bien volontiers, que le Droit qui s’applique et règlemente la vie sociale en Afrique, soit revu à la lumière de ses us et coutumes, qui depuis des siècles, sont le socle sur lequel elle repose. L’observation de ce Droit coutumier et les sanctions qui résultent de leur violation, confèrent aux sociétés africaines leur stabilité et leur équilibre. On signalera au passage que les puissances coloniales ne s’y sont pas trompées en créant des Tribunaux Coutumiers.
Si tant est que l’Afrique veut promouvoir une société faite d’équilibre et de la participation de tous aux décisions qui engagent la communauté, ces us et coutumes, offrent un champ extrêmement riche et varié. Ils ouvrent des droits et des devoirs aux différentes composantes de la société, notamment les femmes et les jeunes dans le processus décisionnel. Ils comportent, aussi, toute la panoplie de sanctions résultant de leur violation.
Enfin, l’Afrique a, en général, une mauvaise perception des dirigeants issus de ce processus démocratique.
En Afrique, indéniablement, certaines qualités sont attendues du Chef.
Il doit avoir le sens de l’honneur et de la dignité en toute chose. L’histoire nous enseigne que les populations africaines gardent le souvenir des hommes de la trempe de Sékou Touré et de Modibo Kéita, pour avoir incarné, de leur temps, ces vertus qui restent intactes dans leur mémoire individuel et collectif. L’Afrique profonde, notamment dans sa partie soudano-saharienne, garde cet esprit chevaleresque qui fait qu’elle ne peut se satisfaire de ces gouvernants sans relief, l’échine toujours courbée et la main toujours tendue.
Il nous souvient, également, de l’approbation unanime du peuple malien et de la diaspora africaine, lorsque le Président Alpha Oumar KONARE , a refusé d’obtempérer à la convocation de Jacques CHIRAC, pour une rencontre des Chefs d’Etat africains à Dakar, à la fin des années quatre-vingt-dix.
Il doit avoir une grande probité morale. Dans l’Afrique traditionnelle, on attend du Chef qu’il soit d’une rectitude morale unanimement reconnue du fait qu’il ne ment pas, ne vole pas, respecte la parole donnée et développe un comportement social irréprochable à tous points de vue.
On attend de lui qu’il soit fort mais juste, à la fois impitoyable et magnanime. Il doit être craint et respecté. Son port et ses propos, doivent refléter son rang. Et dans les pays de tradition musulmane, sa côte de popularité sera encore plus grande si, en bon croyant, il respecte les Codes moraux que cette religion enseigne.
Il doit être capable, enfin, de proposer des rêves de grandeur.
L’africain est sensible à cette culture de la grandeur et supporte mal la mièvrerie et les comportements triviaux. Il accepterait bien volontiers que le dirigeant soit porteur de grands idéaux. De cet fait, elle se souviendra, pour toujours, de ces hommes qui ont rêvé d’une Afrique libérée, unie et prospère.
Aujourd’hui, les populations africaines vivent mal le fait de se retrouver sans le vouloir et la plupart du temps, sans le comprendre, sous la coupe de dirigeants, venus souvent de nulle part et qui arrivent à se hisser au sommet de l’état par toutes sortes d’artifices politiques et de compromissions, à l’exact opposé de ce qui a toujours caractérisé un chef.
QUELQUES AXES DE RECTIFICATION DU PROCESSUS DEMOCRATIQUE
L’Afrique devra, donc, se nourrir du terreau que constitue sa culture millénaire, pour trouver une voie qui lui est propre, visant à assurer au plus grand nombre son implication dans le processus décisionnel et l’expression des idées et des opinions plurielles, valeurs cardinales de toute démocratie.
Encore faut-il que l’élite dirigeante de l’Afrique, s’engage dans la voie de la redécouverte et de la valorisation de l’histoire et de la culture politique du continent. C’est là, un passage obligé pour tous ceux qui veulent apporter leur contribution au progrès du continent.
Les valeurs africaines ébauchées doivent conduire à une rectification du processus démocratique africain, à la formulation et à la mise en œuvre de stratégies portant sur des axes dont on peut retenir, ici, quelques-uns.
CONCEVOIR DES INSTITUTIONS PLUS APPROPRIEES
Les Institutions Républicaines constituent la première clé de voûte du système démocratique. On relève que tous les Etats francophones africains, nés dans le contexte de la Vème République française, ont choisi des Constitutions inspirées de celle-ci. A leur accession à l’indépendance, ces Etats africains qui n’avaient aucune expérience des pratiques républicaines, ont adopté cette forme de gouvernance « par défaut ». De surcroît, pendant des décennies, ils ont évolué dans des schémas qui sont l’antithèse du concept de République.
Les secousses politiques intervenues il y’a près d’une trentaine d’années, ont entraîné des révisions constitutionnelles, lesquelles ont porté sur divers aspects (création de nouvelles Institutions, durée des mandats etc.…). Mais, on observe que ces révisions ont rarement porté sur la fonction et les pouvoirs conférés au Président de la République. Tous les Etats africains vivent sous le principe du cumul des fonctions de Chef de l’Etat et de Chef de l’Exécutif. On notera, que si la Constitution de la IVème République Française a montré les failles du Régime Parlementaire, du fait de l’instabilité qu’elle entraîne au niveau de l’Exécutif, celle de la Vème comporte, elle aussi, des risques de gestion autocratique du pouvoir.
Le Général DE GAULLE, lui-même, en avait parfaitement conscience car, répondant à un journaliste lors de sa campagne référendaire en 1958, il déclarait à peu près ceci : « Pourquoi voulez–vous qu’à 67 ans, je devienne un dictateur ? »
Son pays, pendant presque deux siècles, a connu beaucoup de péripéties avant de se stabiliser dans sa forme actuelle. Les Institutions républicaines, progressivement, se sont consolidées, une culture politique s’est instaurée. Le résultat est qu’un pouvoir autocratique ne peut être instauré dans ce pays, en dépit de quelques errements qui font l’objet de critiques parfois très virulentes de ses Partis Politiques et de son opinion publique.
En Afrique, il en va, tout à fait, autrement : la gestion autocratique du pouvoir se vérifie dans tous les Etats francophones africains.
A la différence du modèle en vigueur dans l’hexagone, le système africain ne comporte, dans les faits, aucun contre-pouvoir réel, ni dans la reddition des comptes électifs, ni dans le contrôle de l’action gouvernementale, ni encore moins, dans celui du Président de la République, Chef de l’Etat.
Cette gestion autocratique du pouvoir africain tire son origine de ce cumul. C’est là, précisément, que se situe le nœud des problèmes de gouvernance dans ces Etats.
On peut proposer, à ce stade, quelques points de réflexion et d’action. D’abord, au regard de ce qu’on observe, aujourd’hui, en Afrique, la classe politique doit, sérieusement s’interroger sur l’orientation présente et future des régimes politiques qu’elle met en place. Elle doit s’interroger sur le type de gouvernance qui sied à l’Afrique. Faut-il des Républiques, parlementaires, présidentielles, laïques ou islamiques ? Des Monarchies, absolues, constitutionnelles ou parlementaires ? Ensuite, si l’objectif est de promouvoir des régimes républicains, elle devra s’interroger sur la meilleure façon d’encadrer la fonction présidentielle de sorte que soit mis fin à la gestion personnelle et patrimoniale du pouvoir, d’autant qu’aucun pouvoir politique, en Afrique, ne peut ignorer la trame des relations parentales, claniques et parfois confessionnelles. Ces faisceaux de relations se meuvent en réseaux denses et puissants qui déterminent toutes les décisions politiques et influent directement ou indirectement sur la vie du pays.
Pour trouver la forme gouvernance démocratique qui sied le mieux aux Etats africains, plusieurs voies peuvent être explorées. En premier lieu, il n’y a pas, à travers le monde, que des Régimes Présidentiels du type Vème République. Dans de nombreux pays, la séparation des fonctions de Chef de l’Etat et de Chef de l’exécutif est effective, comme au Royaume Uni, en Allemagne, en Italie, etc… Ces régimes sont stables et la démocratie s’exerce sans heurts majeurs dès lors que les suffrages sont en faveur d’un Parti Politique.
Cette forme de gouvernance, place les Partis Politiques au cœur du système. Ceci nécessite, bien évidemment, la refonte de la Charte des Partis Politiques et de Codes Electoraux. En second lieu, on pourrait s’accorder sur la formulation et la mise en œuvre d’une Charte adjacente à la Loi Fondamentale, qui ferait obligation au détenteur du pouvoir, de réaliser un Programme Minimum de Développement Politique, Economique, Social et Culturel, pluriannuel, défini en accord avec tous les acteurs politiques économiques et sociaux du pays.
Cette Charte serait sous-tendue par un Plan d’Action, qui serait mis à disposition de tous les acteurs de la vie nationale et des Indicateurs de Performance pour en mesurer périodiquement le niveau de réalisation. Leur suivi et leur évaluation seront faits par un Collège, quelle que soit son appellation, avec des démembrements régionaux et locaux.
La durée des Mandats pourraient être déterminée en fonction de ce Programme et de ces Indicateurs.
En somme, une version africaine des démocraties populaires, Enfin, des réflexions doivent être menées, sur le binôme alternance du pouvoir et nécessité de rendre compte, à tous les niveaux.
Dans les rares pays où les régimes ont changé de main, de façon pacifique, (il n’y en a pas beaucoup), les tenants du pouvoir, à quelques échelons de la hiérarchie, ne rendent jamais compte, ni de leur gestion, ni des biens acquis durant l’exercice de leur mandat.
Les démocrates africains doivent, nécessairement, trouver des mécanismes appropriés pour que l’alternance du pouvoir se fasse dans un cadre de restitution des comptes électifs et financiers.
Ce binôme pose, de fait, toute la problématique et la responsabilité des Partis Politiques. De leur capacité à juguler les dérives qui entourent la mise en œuvre de ce concept, dépendra l’avenir de la démocratie en Afrique.
REAJUSTER LE CONCEPT DE PARTIS POLITIQUES
Les Partis Politiques constituent la seconde clés de voûte du système démocratique.
Après vingt ans, les démocrates africains doivent accepter de soumettre à critique le processus démocratique, en dressant un bilan objectif du pluralisme politique et des Partis qui en résultent. En tout état de cause, il ne peut être fait économie d’un certain nombre de régulations :
Mettre fin au désordre
Pour recevoir le label démocratique, ces Etats africains francophones ont-ils vraiment besoin d’avoir autant de formations politiques ? Le multipartisme, surtout s’il est intégral, est-t-il, forcément, synonyme de bonne santé de la démocratie ?
Au regard de ce qu’on observe dans ces pays, il est indéniable que la réponse à ces questions ne peut être que négative. Le processus, à l’évidence, comporte beaucoup d’insuffisances. On relève d’abord que l’un des plus importants problèmes du continent, réside dans son émiettement politique. Celui-ci se retrouve aussi, à l’intérieur de chacun des Etats africains francophones où la vie politique est éclatée entre une multitude de Partis : leur paysage politique s’en trouve complètement perturbé et désordonné. Le pluralisme politique observé en Afrique est facteur de désordre. En partant du principe que l’essentiel du spectre politique évolue entre conservatisme, nationalisme et progressisme, Il faut mettre fin à ce désordre en ramenant le nombre des partis à un maximum de cinq . Des courants pourront y être créés afin d’entretenir en interne le débat politique et le renouvellement des instances dirigeantes. On relève ensuite, que ces Etats africains ont plus que jamais, besoin de discipline.
Maints d’entre eux souffrent, aujourd’hui, du laisser-aller dans l’exercice de la citoyenneté, dans tous les actes que pose le citoyen au quotidien. Un des plus grands échecs de l’Afrique démocratique réside dans son incapacité à obtenir du citoyen la nécessité de concilier l’exercice de ses libertés individuelles et collectives avec le respect des Lois et des Institutions. Cette absence de discipline individuelle et collective, devient un fléau dont personne ne peut et ne doit se satisfaire.
Les Partis Politiques ont l’obligation de s’engager dans ce changement de mentalités qui constitue leur raison d’être. On relève par ailleurs, que ces Etats africains ont, plus que jamais, besoin de mettre les populations au travail, dans un environnement assaini, favorable à l’éclosion des capacités.
Comparé au reste du monde, ce continent a choisi, comme la Cigale de la Fontaine, de chanter, de danser et pour finir, de tout mendier. On ne peut pas construire durablement un pays dans la facilité, dans la gabegie, dans l’usage de la corruption financière et politique, dans l’absence de contrôle et de toute justice. Le continent regorge de potentialités qui ne demandent qu’à être exploitées. Comment comprendre qu’aujourd’hui nombre d’entre eux ne soient même pas capable de nourrir, de soigner encore moins d’éduquer convenablement leur population ? La également la classe politique est fortement interpellée. On relève enfin, que ces Etats ont, plus que jamais, besoin d’un meilleur encadrement des élections africaines. La démocratie ne peut se réduire quasiment à la seule préparation des « élections libres et transparentes ». Laisser la possibilité à tous ceux qui se sentent habités par quelque ambition d’accéder à des postes électifs à divers niveaux, surtout à la magistrature suprême, comporte de graves inconvénients dont l’un des plus importants est, sans aucun doute, l’exploitation des fractures sociales et des déchirures sur fond ethnique ou régionaliste. En Afrique, on sait jusqu’où cela peut conduire. Ces Etats ont l’obligation d’asseoir sur des bases solides, la cohésion sociale, et n’ont vraiment pas besoin de cette multitude de candidatures aux élections, ni de la démagogie qui les entoure. Tout comme ils n’ont pas besoin, que l’expression des suffrages se ramène soit à un retour sur investissement, soit à valider les choix faits ailleurs. En somme, la responsabilité des Partis Politiques est entière sur toutes ces questions.
Avoir un ancrage idéologique
Il est à noter, qu’à la différence des formations politiques d’avant l’indépendance qui se définissaient toutes par rapport au système colonial, celles qui animent aujourd’hui la vie politique en Afrique francophone, se caractérisent par l’unanimisme dans l’allégeance au Chef du moment, par l’absence de critique par rapport aux orientations du pays en matière de développement politique, économique et social du pays, par le manque de positionnement sur les actes que posent les gouvernements .
Elles se doivent de créer un cadre de débats d’idées, pour réengager les luttes politiques et faire prévaloir des orientations à l’aune des objectifs poursuivis. Elles doivent se donner comme objectif d’impliquer les populations dans la définition, la mise en œuvre, le contrôle de l’action gouvernementale et, ceci, en fonction de l’orientation générale du pays, à court, moyen et long terme.
En tout état de cause, si les Partis Politiques, ne mettent pas fin à leur opportunisme de toujours se positionner en fonction d’un homme et de sa ligne politique, si tant est que celui-ci en ait, s’ils ne s’engageaient pas dans les vrais débats de société au lieu de les occulter, ils perdront leur raison d’être et le reste de crédibilité que de moins en moins, les populations leur accordent. Alors, ils ne seront, ni plus, ni moins, que des Groupements d’Intérêt Economique, ou « des Cartels politiques ».
Assainir l’environnement socio- politique
L’environnement socio- politique des Etats francophones africains est malsain. La corruption dans ses différentes manifestations, en s’incrustant dans tous les rouages de la vie politique, économique et sociale, en est la première et la principale cause. De plus en plus, les populations, d’un pays à un autre, réclament des changements dans leur gouvernance.
Mettre fin à toutes les déviances, est sans nul doute, la grande problématique qui se pose, aujourd’hui, dans ces pays. Il est aussi et surtout une forte interpellation de la démocratie africaine dont la survie pourrait en dépendre.
Assumer l’entièreté de sa souveraineté
Dans son ouvrage intitulé « Discours sur l’origine et les fondements des Inégalités entre les Hommes », Jean Jacques ROUSSEAU écrit : «…Et s’il y a un chef national et un autre étranger, quelque partage d’autorité qu’ils puissent faire, il est impossible que l’un et l’autre soient obéis et que l’Etat soit bien gouverné ».
Cette citation résume parfaitement la situation actuelle des Etats d’Afrique francophone. Leur dépendance vis-à-vis de la France en particulier, fait que les pouvoirs qui s’y exercent le sont à divers degrés par procuration.
Dès lors, la condition première de toute refondation de la gouvernance dans ces Etats, réside dans le recouvrement de l’entièreté de leur souveraineté. D’abord au plan politique, l’émergence de la démocratie ne doit pas permettre que se poursuivent les interférences extérieures dans le choix des dirigeants africains. Il est une chose de s’accorder sur la fin des coups d’Etat militaires, il en est une autre de laisser la possibilité aux peuples africains de choisir leurs propres dirigeants. Toutes interventions étrangères, directes ou « maquillées » , ne peuvent avoir, comme résultat, que de dévoyer le processus démocratique de ces pays. Ensuite, au plan économique, les politiques menées depuis cinquante ans, par ces Etats, au regard des problèmes qu’ils rencontrent aujourd’hui, des enjeux intérieurs et extérieurs qui se font jour, deviennent anachroniques et n’aboutissent qu’à une extraversion incontrôlée de la sphère économique et la dégradation continue des termes de l’échange qui va avec.
Il est largement temps pour eux de s’assumer et de penser en fonction de leurs propres intérêts. Enfin, ils doivent être en mesure de revoir leur politique d’intégration. Celle-ci devra s’appuyer sur la création d’entités politiques intégrées, dont la finalité serait de renforcer le rapprochement des peuples africains et de créer des espaces économiques viables.
En tout état de cause, les politiques en cours qui, en définitive, n’aboutissent à rien d’autre que d’ouvrir le marché africain à l’étranger et perpétuer les rapports de domination que le continent continue de subir, ne devraient plus être maintenues comme telles.
Au regard des enjeux qui apparaissent en Afrique, les Organisations sous régionales et régionales ainsi que l’Union Africaine doivent être revues, de fond en comble, aussi bien dans leur configuration que dans leurs missions, pour les positionner par rapport à ces enjeux qui dépassent le cadre étriqué des Etats qui les constituent. La véritable indépendance africaine, à n’en pas à douter, ne se fera pas sans douleur : il faut se faire à cette vérité et s’y préparer !
En conclusion, la démocratie africaine a besoin de se remettre en cause. Il ne s’agit point de tout rejeter mais de retenir et d’intégrer ce que la démocratie occidentale a de vertueux dont entre autre, le droit à la différence, l’acceptation de l’autre, la tolérance, le respect de la volonté du plus grand nombre, le respect du bien public, la probité morale, la création d’espaces de liberté individuelle et collective, etc.
Les Africains doivent s’affranchir de l’emprise néocoloniale et arrêter de mimer servilement ce qui se pratique dans des sociétés à tous égards différentes des leurs.
Ils doivent faire en sorte que des courants nouveaux fassent émerger des leaders d’un autre type, en phase avec leurs peuples et tournés, exclusivement, vers le progrès de leur pays. Aussi, doivent-ils avoir confiance en eux- mêmes et s’engager dans la promotion des valeurs qui leur sont propres, en vue de construire leur démocratie.
Il faut espérer qu’ils y arriveront, un jour ! Sinon, il faudrait, alors, qu’ils donnent raison à Chirac : « La démocratie est un luxe pour l’Afrique ».
Et un leurre de plus !
Refondation De L’etat Republicain Et Democratique
Refondation De L’etat Republicain Et Democratique
Perspectives
Boubacar DIALLO
01/09/2018
Après avoir précédemment campé la situation des pays francophones d’Afrique en matière de démocratie et de gouvernance, il s’avère nécessaire d’explorer les voies et moyens susceptibles de leur permettre de tracer de nouveaux sillons et de créer de nouveaux modèles plus en phase avec leurs cultures et à même d’impulser une nouvelle et réelle dynamique développement .
Au regard de tout ce qu’on observe, aujourd’hui, en Afrique francophone, on pourrait se demander si CHIRAC n’aurait pas eu raison, si l’Afrique est prête à embrasser la démocratie telle que voulue et conçue par l’Occident, et si elle a les moyens d’y participer ?
Pour faire bonne mesure, on admettra, toutefois, que la démocratie africaine, du haut de ses presque trente ans, est encore jeune, que les errements actuels, après des décennies de Partis Uniques et des régimes d’exception, sont la marque de ses premiers balbutiements.
A l’évidence, tout passage d’un ordre ancien à un ordre nouveau, s’accompagne nécessairement d’une période probatoire, une sorte de « maladie infantile ».
Cependant, des indépendances à nos jours, l’Afrique francophone a évolué. Elle a beaucoup investi dans les ressources humaines. Malgré les écarts qualitatifs que l’on peut observer, d’un pays à un autre, dans l’ensemble, les capacités intellectuelles existent. Elle ne peut donc plus tirer prétexte, ni de l’insuffisance des ressources humaines, ni de la précipitation résultant du « vent d’Est ».
Mais alors, pourquoi faut-il qu’elle persiste dans le plagiat du modèle de gouvernance importé ? Pourquoi faut-il qu’elle se définisse toujours en fonction de ce qui vient d’ailleurs, mais jamais en fonction de ses propres réalités cultuelles. Jusqu’où le mimétisme, le manque d’estime pour soi-même, les conduiront-elle ?
La réponse à ces questions est évidente : l’élite africaine doit abandonner cette tendance à la facilité. Elle se doit de s’atteler, très rapidement, à l’identification et à la correction des insuffisances qui entravent le bon fonctionnement de « l’Etat Africain Républicain et Démocratique », d’autant que la persistance et même l’aggravation de nombreux défis, y trouvent leur origine.
A ce stade, il convient de s’arrêter sur ces concepts d’Etat, de République et de Démocratie et de s’interroger sur la façon dont les populations les perçoivent et les vivent dans leur quotidien, pour ensuite faire, à l’aune des valeurs africaines, un certain nombre de propositions visant à améliorer la gouvernance dans le pays africains francophones.
DU CONCEPT DE L’ETAT
Ce concept ne date pas, loin s’en faut, ni de l’intrusion coloniale, ni de l’accession des pays africains à l’indépendance. La perception qu’en ont les africains est le résultat de différentes strates, façonnées par celles de l’Afrique précoloniale, de l’Afrique coloniale et de l’Afrique indépendante. Ces strates successives du pouvoir étatique, ont, chacune, façonné des rapports particuliers entre ses détenteurs et les populations.
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique précoloniale
D’un bout à l’autre du continent, l’Afrique précoloniale était, depuis des siècles, hérissée d’entités parfaitement organisées au plan politique, économique et militaire. Les Empires, les Royaumes et les Pouvoirs Théocratiques, qui s’y sont succédés, ont façonné un mode de pensée et d’organisation des sociétés africaines.
On relève d’abord, que la société africaine est très fortement hiérarchisée. Dans cette stratification sociale, la notion de chef est l’une des plus fondamentales, de la cellule familiale au clan, du village à l’autorité suprême. Cette organisation de la société repose sur des clivages à tous les niveaux. Pour chaque individu, pour chaque composante, pour tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir, la voie est balisée par des règles. Toute transgression fait l’objet de condamnation et de sanctions sous diverses formes. Ces us et coutumes confèrent à tous et à chacun des droits et obligations et assurent l’équilibre et la stabilité de la société.
On relève ensuite, que tout pouvoir, en Afrique, comporte une dimension spirituelle. Il est enveloppé d’une sorte de mysticisme et est considéré comme sacré. Dans les pays sahéliens de tradition musulmane, il est d’essence divine : on l’acquiert ou on le perd selon la volonté de Dieu. Dans les pays de tradition animiste, le détenteur du pouvoir est le lien avec les ancêtres dont on honore l’esprit dans toutes les manifestations de la vie quotidienne.
Il repose sur une organisation verticale dont la base est constituée par la famille, ensuite le clan, la chefferie et un pouvoir suprême. Il comporte, aussi, différents niveaux de chefferies, lesquelles participaient au fonctionnement de l’entité centrale par le paiement d’impôt, l’effort de guerre, les travaux d’intérêt général etc…Ces détenteurs du pouvoir sont soumis à des règles strictes, à des principes qui ne peuvent être transgressés sous peine d’être frappés d’infamie. Ainsi, les Etats précoloniaux avaient leurs systèmes de contre-pouvoir ainsi que leur système de transmission du pouvoir qui, généralement se faisait de père à fils à moins que des impondérables ou des révolutions de palais ne viennent bouleverser l’ordre des choses. Par exemple, dans beaucoup de Royautés Bamanan, dès lors qu’il était convenu que « la semence de mil a vieilli ! », les forces armées, (les Tondions), s’emparaient du pouvoir et intronisaient un nouveau chef, lequel créait une nouvelle dynastie.
On relève enfin, que l’exercice du pouvoir, en Afrique précoloniale, se caractérise par la prééminence de la force. Le Monarque est investi de tous les pouvoirs. Il a droit de vie et de mort sur ses sujets.
C’est de là que naît cette obéissance aveugle au détenteur du pouvoir, la discipline collective et le respect de tous. C’est, également de là, que naissent l’aura, de même que le panache qui sied à celui qui le détient.
Cependant, s’il est investi de tous les pouvoirs, il est attendu de lui, qu’il soit fort mais juste.
Force et justice, sont deux des piliers sur lesquels reposent les sociétés traditionnelles africaines.
Ces perceptions du pouvoir se heurtent à de nombreuses valeurs que comporte le concept de démocratie : le concept de l’alternance du pouvoir, celui du renouvellement périodique des mandats, du nivellement par la base, de l’égalitarisme, etc…
Concilier ces valeurs ancestrales avec celles qui résultent de la démocratie, reste une des problématiques majeures de l’Etat moderne africain !
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique coloniale
Dans l’Afrique coloniale, en dépit des différences dans leurs méthodes de colonisation, toutes les puissances occidentales qui ont conquis l’Afrique, ont compris que pour administrer efficacement leurs possessions, il leur fallait s’appuyer sur des structures locales.
Certaines puissances coloniales ont maintenu telles quelles les structures organisationnelles dans lesquelles évoluaient les populations des régions conquises (indirect rules). D’autres, les ont liquidées pour la plupart, pour s’être opposées à la pénétration coloniale et les ont remplacées par de nouvelles structures créées de toute pièce. Ainsi dans ses possessions africaines, la France coloniale faisait cohabiter deux types d’administration.
La première relevait du Ministère Français des Colonies et s’appuyait sur deux structures centrales, dirigées par les Gouverneurs Généraux de l’Afrique Occidentale Française (AOF) depuis Dakar et de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) depuis Brazzaville, ainsi que des Territoires Coloniaux dirigés par des Gouverneurs Territoriaux. Ces entités fonctionnaient en s’appuyant sur une kyrielle d’agents« indigènes » , préposés aux tâches subalternes, d’administration, d’interprétariat, de gardes et de gens de maison.
La seconde reposait sur les pouvoirs traditionnels matérialisés par les Chefferies de Canton, de Villages et de Fractions, des Autorités Religieuses et Traditionnelles.
Cette administration coloniale était d’une extrême efficacité. L’ordre et la discipline était de rigueur. L’autorité, s’exerçait dans tous les domaines.
Ce pouvoir colonial se caractérise par sa brutalité et son efficacité. La puissance publique s’exerce dans toute sa plénitude.
Aujourd’hui, au regard du désordre et du laisser-aller généralisé dans maints pays africains, on est presque à regretter que cette période soit, à jamais, révolue.
Du pouvoir d’Etat dans l’Afrique post coloniale
En Afrique post colonial le concept de l’Etat a connu une grande évolution. Deux périodes bien distinctes peuvent être observées.
La première porte sur la période allant des indépendances au début des années 1990. Les problèmes de gouvernance sont apparus à partir du moment où les attributs de la souveraineté ont été transférés aux nouveaux Etats indépendants. A leur décharge, cependant, on relèvera, qu’au moment de leur accession à l’indépendance, ils n’étaient pas réellement préparés aux nouvelles responsabilités découlant de la souveraineté nationale. Ils n’ont eu, en conséquence, d’autres alternatives que de se référer au seul modèle qui s’offrait à eux : celui de leur ancienne puissance coloniale. Ainsi, la mise en place de l’Etat nouveau a consisté à créer une administration nationale dont la mise en œuvre s’est résumée à remplacer les administrateurs coloniaux par des nationaux, d’une part, et à maintenir, d’autre part, les structures traditionnelles, avec, il est vrai, des nuances d’un pays à un autre.
A noter que les régimes d’exception, qui ont longtemps occupés la scène politique dans ces pays, n’offraient pas un cadre idéal pour engager des réformes dans la gouvernance de ces pays.
La seconde porte sur la période allant de 1990 à nos jours, période marquée par l’émergence de la démocratie comme mode de gouvernance.
Les bouleversements intervenus dans la plupart des Etats ont entraîné la nécessité de réorienter leur administration pour la rendre capable d’impliquer les populations dans le processus de développement politique, économique, social et culturel du pays.
Ainsi, des Réformes Administratives, accompagnées d’un redécoupage du territoire national et l’apparition de nouvelles entités, ont été engagées dans de nombreux Etats. Parallèlement de nombreux organes ont été créés. Beaucoup de textes, y compris, les Constitutions ont été revus pour les adapter à l’évolution politique, économique et sociale de ces pays. Mais la plupart de ces réformes n’ont pas totalement atteint les résultats escomptés, pour les raisons les plus diverses. La Décentralisation et la Déconcentration Administratives n’ont pas encore permis aux nouveaux organes de jouir pleinement de tous leurs attributs.
Cependant, dans la quête de leurs besoins en matière d’administration publique, les populations la subissent, au quotidien, comme au temps de la colonisation avec, cependant, une différence de taille : si l’administration coloniale était d’une grande efficacité, celle des Etats indépendants se caractérise par le désordre, le laisser-aller le tout se traduisant par une incompétence notoire et une corruption qui ne se cache même plus.
En définitive, malgré ces nombreuses réformes, les Etats africains continuent de vivre au rythme de la confrontation entre deux modes de vie et de pensée, entre des normes et des codes occidentaux et ceux de l’Afrique traditionnelle.
On relèvera à cet égard que dans les pays côtiers, toutes les grandes ethnies ont conservé leurs structures originelles avec leurs Rois, qui sont présents dans toutes les manifestations de la vie courante. Dans les Etats soudano-sahéliens, où la religion musulmane est prépondérante, on relèvera l’existence des Grandes Familles, le plus souvent Théocratiques, qui sont les autorités morales et les garants de la stabilité du pays.
Les Etats africains continuent de vaciller entre ces différents courants. A maintes occasions, lorsque les reformes sociétales proposées s’opposent à la vision traditionnelle, la puissance publique arrive rarement à les faire aboutir et finit la plupart du temps par céder, révélant ainsi son extrême fragilité.
Cette tendance de la classe dirigeante à se soumettre à l’autorité traditionnelle, incontestablement, traduit son inconfort. Alors elle s’adonne à un jeu d’équilibrisme, surtout en période électorale, entre ces différents courants de pensée, incapable de choisir une voie. Le sort qui a été réservé à la réforme du Code de la Famille, proposée récemment par les autorités maliennes, en est un parfait exemple.
L’Etat postcolonial se caractérise par une certaine faiblesse !
Il ne peut y avoir une gouvernance de qualité dès lors que la puissance publique perd sa crédibilité et son autorité.
DU CONCEPT DE REPUBLIQUE
La République, repose sur le principe du partage du pouvoir entre différentes Institutions mais aussi sur le fait que la fonction de Chef de l’Etat n’est pas héréditaire.
A travers le monde, existent plusieurs formes de République.
En occident, elles sont généralement de type parlementaire dans lequel les fonctions de Chef de l’Etat sont distinctes de celles de l’Exécutif qui sont assumées par le Parti majoritaire.
Il en était ainsi, en France, jusqu’à ce que les évènements d’Algérie et de Corse n’entraînent l’adoption de la Constitution de la Vème République, en 1958. Elle crée un régime Présidentiel dans lequel le Président, en même temps Chef de l’Etat, nomme et révoque le Gouvernement.
A leur accession à l’indépendance, les nouveaux Etats francophones, nés dans le contexte de cette Vème République, adoptèrent presque tous cette forme de gouvernance. Avec bien évidemment, quelques nuances selon leurs orientations politiques en fonction des deux blocs qui dominaient le monde.
Ce choix des années soixante peut parfaitement se comprendre. Ces nouveaux Etats africains francophones, faute de préparation suffisante, n’avaient d’autres choix, que de créer des structures similaires à celles de « la métropole ».
Cependant, au regard de ce qu’on observe, depuis plus de cinquante ans, dans les Etats francophones africains, il faut reconnaître que ce concept de République, est mis à rudes épreuves dans quasiment tous ces Etats.
République et Régimes d’exception
On relèvera d’abord que tous les pays francophones, à l’exception de deux Etats, ont connu, à un moment ou un autre, des Régimes d’exception résultant de l’immixtion des Forces Armées dans la vie politique.
Ces coups d’Etat, comme on le sait, s’accompagnent, toujours de la suspension de la Constitution et de la suppression des libertés individuelles et collectives. Dès lors qu’un homme ou un groupe d’hommes s’empare, pour quelques raisons que ce soit, des rênes du pouvoir, violant de ce fait, le serment de défendre la République, celle-ci, à l’évidence, s’efface !
Il convient, du reste, de s’arrêter un moment sur cette irruption de l’Armée sur la scène politique en Afrique.
D’abord, celle-ci a laissé des traces indélébiles dans la vie politique de tous les pays où elle a eu lieu. Attribut essentiel de la souveraineté nationale, elle est souvent la seule force véritablement organisée, en dépit de l’existence d’une multitude de Partis Politiques et, peut-être, précisément à cause de cet émiettement de la vie politique. Véritable microcosme de la société, sans ancrage politique directement avéré, elle ne peut pas, à l’évidence, rester indifférente aux problèmes qui se posent dans cette société. Les évènements politiques qui surviennent dans maints pays africains l’obligent à sortir de ses casernes soit pour arbitrer entre les protagonistes, soit pour prendre le pouvoir, à titre transitoire ou parfois de façon définitive. Elle devient, souvent, le dernier recours ou parfois une véritable épée de Damoclès !
République et Régimes à Partis Uniques
De nombreux Etats ont connu, à un moment ou à un autre, les Partis Uniques et leur mainmise sur l’appareil gouvernemental. Ces régimes, dans leur fonctionnement, donnent naissance au Parti-Etat et au culte de la personnalité. Le pouvoir est très centralisé, les Institutions sont inféodées au Parti. Le pouvoir personnel s’instaure. C’est le modèle des démocraties populaires, une autre façon de concevoir la notion de République.
Mais, celle qui consiste au partage du pouvoir entre différentes Institutions qui doivent s’équilibrer entre elles, à l’évidence, s’efface !
République et Régimes démocratiques
On aurait pu espérer que l’apparition de la nouvelle forme de gouvernance démocratique, favoriserait ce partage du pouvoir.
On relève, cependant, deux observations majeures.
D’abord, en Afrique francophone, la démocratie s’est traduite par l’émergence d’un concept particulier : celui « du petit père du peuple », l’alpha et l’oméga de toute la vie politique du pays. L’exercice de la fonction suprême de Président de la République, dans tous ces Etats africains, se résume « au fait du prince » . La gestion patrimoniale du pays se met en place, parfois, pendant des décennies. Il arrive que, de temps en temps, cet ordre se trouve perturbé par des réclamations, soit d’une partie de la population qui entre en rébellion, soit d’une minorité, comme le monde universitaire et scolaire ou les Forces Armées.
Comme dans les Partis Uniques, les Institutions Républicaines deviennent, ou monocolores (Assemblée Nationale) ou inexistantes (Sénat, Cour des Comptes, Haute Cour de Justice etc…) ou tout simplement inféodées au pouvoir en place (Cour Suprême, Cour Constitutionnelle). Les Centrales Syndicales sont sous contrôle du pouvoir ou engluées dans des revendications salariales. L’opinion Publique est balbutiante et inactive. La Presse, bien que florissante, ne réussit pas à se hisser au rang de quatrième pouvoir. L’opposition politique, pour autant qu’elle existe, est muselée ou marginalisée.
En somme, il n’existe pas véritablement de balises, non pas que les textes n’existent pas, mais, tout simplement, parce qu’ils souffrent, soit d’une mauvaise application, soit du refus de les appliquer, pour les raisons les plus diverses.
Ensuite, on relèvera que les régimes africains dérivent vers des monarchies qui n’osent pas dire leur nom. Il n’est que de voir les postures, les faits et gestes de nombreux dirigeants africains et de leur plus proche entourage, pour comprendre qu’ils ressemblent, à si méprendre, à ceux d’un Monarque absolu.
La plupart des régimes africains se situent quelque part entre République et Monarchie.
Là aussi, la République, incontestablement, s’efface !
DU CONCEPT DE LA DEMOCRATIE
Trente ans après le vent d’Est, le paysage politique de l’Afrique a beaucoup changé. Les Partis Politiques fleurissent. Les élections à différent échelons, s’organisent. Le langage politique prend une nouvelle tournure. Un nouveau système de gouvernance, s’installe dans les mœurs politiques des Etats francophones d’Afrique.
Dans le même temps, toutes sortes de dérives se font jour : le mauvais exercice de la puissance publique, l’absence d’une justice saine, l’absence de contrôle et de sanction, le tout se traduisant par l’impunité, le laisser-aller, l’accroissement de la corruption, de la prévarication, de la concussion etc.
Ces pratiques s’installent dans le corps social et deviennent la référence absolue. Alors, dans un environnement de pillage généralisé, le travail est mésestimé, le mérite et toute réussite, aussi modeste soient-ils, sont suspects et vilipendés. La médiocrité, la délation, la courtisanerie deviennent un mode de vie. La mendicité s’érige en système de gouvernement.
En résumé l’Etat africain, républicain et démocratique va à vau-l’eau !
DE LA PROMOTION DES VALEURS AFRICAINES
Il faut espérer, car le contraire serait très grave de conséquences, que l’élite africaine, après près de trente ans d’exercice de la démocratie, commence à prendre conscience des insuffisances qu’elle comporte et s’attèle à la réflexion et à la recherche de solutions appropriées pour les corriger. Concilier les valeurs de la démocratie occidentale à celles de leur propre culture, bâtir un système de gouvernance dans lequel les populations se sentent libres dans leur vécu quotidien, en harmonie avec elles-mêmes et leur environnement socio- culturel, est à leur portée.
Dans cette perspective, quelques axes de réflexions peuvent être posés.
Le monde offre à cet effet toute une panoplie de régimes démocratiques : Monarchies Constitutionnelles ou Parlementaires ; Régimes Présidentiels ou Parlementaires ; Régimes Islamiques ; Républiques Populaires.
L’Afrique elle, continue de s’immerger dans la reproduction, pure et simple, de ce qui lui vient d’ailleurs en oubliant qu’elle n’a pas attendu l’invasion coloniale pour découvrir le fait politique. Ses empires et royaumes ont façonné une culture politique et un mode de pensée et d’organisation sociale.
La Constitution de Kouroukan Fouga dans l’Empire du Manding au 13ème, dont la pierre angulaire était le concept de liberté siècle et qui a précédé de plus de cinq cent ans la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 en est une parfaite illustration. De même on relèvera que beaucoup de concepts, aujourd’hui en vogue dans le monde, étaient connus des africains et mis en œuvre, à travers les siècles. C’est par exemple la préservation de la biodiversité et plus généralement l’écologie qui préoccupe le monde actuel du fait du réchauffement climatique.
Ainsi, ce qui se conçoit et s’exécute ailleurs, n’est donc pas, nécessairement, ce qui convient à l’Afrique. C’est probablement cette opinion, que le Président Moussa TRAORE a tenté de faire prévaloir à la Baule, ce qui lui a valu sa disgrâce et la liquidation de son régime.
Le résultat de cette copie pure et simple des modèles importés est sans équivoque. Pour le moment, cette démocratie se vit, en Afrique, dans un environnement politique, institutionnel, juridique, économique et social malsain, peu favorable à l’adhésion populaire et à l’éclosion des capacités pour faire face aux problèmes liés à son développement.
On peut tenter d’apporter une explication sur l’origine de ces dysfonctionnements en l’analysant à partir de certaines valeurs sociétales africaines qui s’opposent au concept démocratique occidental.
En premier lieu, un postulat est à retenir : On relèvera que les occidentaux imposent leurs propres critères et s’accordent pour faire de la démocratie telle qu’elle se vit chez eux, la panacée à tous les problèmes qui assaillent le continent noir, en faisant semblant d’oublier que leur système de gouvernance actuel est le fruit d’une très longue maturation et que, malgré cela, il comporte encore des insuffisances et est donc loin d’être achevé. En l’ayant fait en « prêt-à-porter » pour les africains, pouvait-on s’attendre à autre chose qu’à cet ersatz si rependu sur le continent africain ?
En second lieu, l’approche consiste à identifier, en vue d’y apporter des solutions appropriées, ce que l’Afrique traditionnelle ne conçoit pas et n’accepte pas dans ce processus démocratique venu d’ailleurs.
D’abord, l’Afrique supporte difficilement le principe de l’égalitarisme qui en résulte. Si cette notion se comprend dans les sociétés occidentales qui cultivent à suffisance, la primauté de l’individu sur le collectif, la sublimation du « moi » en toutes choses, les sociétés africaines, à l’inverse, valorisent le collectif : l’individu, dans toutes les manifestations de la vie, s’efface, quelle que soit sa position sur l’échelle sociale. Cependant, dans ce collectif, la hiérarchisation reste la règle d’or et détermine les rapports entre différents groupes sociaux, entre vieux et jeunes, entre hommes et femmes. Le nivellement par la base que sous-tend le concept de la démocratie occidentale, s’oppose très fortement à cette hiérarchisation des sociétés africaines. Ce que des millénaires ont façonné comme mode de vie et de pensée, cet atavisme qui dort en tout africain, rend difficile la capacité de l’africain à transcender cette stratification sociale.
Il faut donc laisser, à l’Afrique, le temps et la possibilité de trouver ses propres voies pour assurer à toutes les composantes sociales, une insertion harmonieuse dans la modernité. Cette insertion ne doit pas être faite au détriment des valeurs sociétales africaines. Sur ce point, également, les africains doivent faire prévaloir cette vertu du consensus.
Dans le même ordre d’idée, la multiplicité des ethnies, les particularités régionales et confessionnelles, posent, en Afrique, l’épineux problème de la prise en charge de cette diversité. Pendant longtemps encore, ces facteurs seront, dans beaucoup de pays africains, déterminants dans le choix des hommes et des femmes qui briguent les suffrages, dans l’acceptation de leurs messages et dans l’adhésion des populations aux programmes qu’ils proposent. Un vaste chantier de recherche, de formation et de sensibilisation s’ouvre en ce domaine !
Ensuite, l’Afrique supporte difficilement l’absence de justice sociale.
Elle souffre de la mauvaise répartition du revenu national, de la corruption financière et politique, du déni de justice, du racket au coin de la rue, dans les villages et aux frontières. La banalisation, depuis vingt ans, de ces pratiques fait que les populations africaines ont une perception rédhibitoire de la démocratie africaine. Sa survie ou, tout au moins, ses chances de réussite comme facteur de développement, dépendra de la capacité de l’élite politique à juguler ces fléaux qui entrainent inexorablement la perte de confiance entre l’élu et sa base, le désordre, la perte de l’autorité de l’Etat, la généralisation de l’impunité et le laisser-aller.
Par ailleurs, l’Afrique vit difficilement le concept de l’alternance du pouvoir.
Dans les démocraties avancées qui s’exercent dans des pays qui ont résolu l’essentiel des problèmes en termes de satisfaction des besoins fondamentaux de leurs populations, l’alternance du pouvoir devient bénéfique. Le renouvellement périodique de la classe politique, à partir d’élections parfaitement organisées et transparentes, amènent au pouvoir des hommes et des femmes en charge de conduire de nouvelles politiques qui sont définies à la suite de confrontations d’idées sur les orientations du pays et des débats de société. L’implication de tous les acteurs de la vie nationale dont une Société Civile parfaitement structurée, sont autant d’éléments qui apportent des courants nouveaux, vivifiants et régénérateurs, et, cela, dans un contexte de reddition générale des comptes, qu’ils soient électifs ou financiers.
Le binôme alternance du pouvoir et nécessité de rendre compte est observé du fait que toutes les structures jouent pleinement leur rôle, dont une administration publique et un système juridique de bonne facture.
En Afrique, il en va tout à fait autrement.
Les pouvoirs politiques africains vivent mal le principe de la transmission du pouvoir et de la limitation des mandats électifs. Les tenants du pouvoir africain s’y accrochent. Ils ne le cèdent, bien souvent, qu’à leur corps défendant, en usant, de toutes sortes d’artifices et de malices pour le garder le plus longtemps. Quand bien même ils se voient contraints de le céder, ils essayeront de faire en sorte que ce soit un des leurs qui s’en emparent et que le système qu’ils ont mis en place perdure indéfiniment.
Il ne faut donc pas s’étonner de la tendance à la centralisation du pouvoir et la pérennisation des régimes en place qui caractérisent quasiment tous les pouvoirs africains, car elles reflètent parfaitement la culture politique des sociétés africaines. Il ne faut pas, non plus, s’étonner de l’immixtion fréquente des forces armées dans la vie politique africaine. Ce phénomène qui a été, pendant longtemps, le lot des Etats africains, s’inscrit parfaitement dans la tradition de l’exercice du pouvoir en Afrique.
De plus, elle supporte mal que l’usage du Droit coutumier soit relégué au rang de folklore.
Elle accepterait, bien volontiers, que le Droit qui s’applique et règlemente la vie sociale en Afrique, soit revu à la lumière de ses us et coutumes, qui depuis des siècles, sont le socle sur lequel elle repose. L’observation de ce Droit coutumier et les sanctions qui résultent de leur violation, confèrent aux sociétés africaines leur stabilité et leur équilibre. On signalera au passage que les puissances coloniales ne s’y sont pas trompées en créant des Tribunaux Coutumiers.
Si tant est que l’Afrique veut promouvoir une société faite d’équilibre et de la participation de tous aux décisions qui engagent la communauté, ces us et coutumes, offrent un champ extrêmement riche et varié. Ils ouvrent des droits et des devoirs aux différentes composantes de la société, notamment les femmes et les jeunes dans le processus décisionnel. Ils comportent, aussi, toute la panoplie de sanctions résultant de leur violation.
Enfin, l’Afrique a, en général, une mauvaise perception des dirigeants issus de ce processus démocratique.
En Afrique, indéniablement, certaines qualités sont attendues du Chef.
Il doit avoir le sens de l’honneur et de la dignité en toute chose. L’histoire nous enseigne que les populations africaines gardent le souvenir des hommes de la trempe de Sékou Touré et de Modibo Kéita, pour avoir incarné, de leur temps, ces vertus qui restent intactes dans leur mémoire individuel et collectif. L’Afrique profonde, notamment dans sa partie soudano-saharienne, garde cet esprit chevaleresque qui fait qu’elle ne peut se satisfaire de ces gouvernants sans relief, l’échine toujours courbée et la main toujours tendue.
Il nous souvient, également, de l’approbation unanime du peuple malien et de la diaspora africaine, lorsque le Président Alpha Oumar KONARE , a refusé d’obtempérer à la convocation de Jacques CHIRAC, pour une rencontre des Chefs d’Etat africains à Dakar, à la fin des années quatre-vingt-dix.
Il doit avoir une grande probité morale. Dans l’Afrique traditionnelle, on attend du Chef qu’il soit d’une rectitude morale unanimement reconnue du fait qu’il ne ment pas, ne vole pas, respecte la parole donnée et développe un comportement social irréprochable à tous points de vue.
On attend de lui qu’il soit fort mais juste, à la fois impitoyable et magnanime. Il doit être craint et respecté. Son port et ses propos, doivent refléter son rang. Et dans les pays de tradition musulmane, sa côte de popularité sera encore plus grande si, en bon croyant, il respecte les Codes moraux que cette religion enseigne.
Il doit être capable, enfin, de proposer des rêves de grandeur.
L’africain est sensible à cette culture de la grandeur et supporte mal la mièvrerie et les comportements triviaux. Il accepterait bien volontiers que le dirigeant soit porteur de grands idéaux. De cet fait, elle se souviendra, pour toujours, de ces hommes qui ont rêvé d’une Afrique libérée, unie et prospère.
Aujourd’hui, les populations africaines vivent mal le fait de se retrouver sans le vouloir et la plupart du temps, sans le comprendre, sous la coupe de dirigeants, venus souvent de nulle part et qui arrivent à se hisser au sommet de l’état par toutes sortes d’artifices politiques et de compromissions, à l’exact opposé de ce qui a toujours caractérisé un chef.
QUELQUES AXES DE RECTIFICATION DU PROCESSUS DEMOCRATIQUE
L’Afrique devra, donc, se nourrir du terreau que constitue sa culture millénaire, pour trouver une voie qui lui est propre, visant à assurer au plus grand nombre son implication dans le processus décisionnel et l’expression des idées et des opinions plurielles, valeurs cardinales de toute démocratie.
Encore faut-il que l’élite dirigeante de l’Afrique, s’engage dans la voie de la redécouverte et de la valorisation de l’histoire et de la culture politique du continent. C’est là, un passage obligé pour tous ceux qui veulent apporter leur contribution au progrès du continent.
Les valeurs africaines ébauchées doivent conduire à une rectification du processus démocratique africain, à la formulation et à la mise en œuvre de stratégies portant sur des axes dont on peut retenir, ici, quelques-uns.
CONCEVOIR DES INSTITUTIONS PLUS APPROPRIEES
Les Institutions Républicaines constituent la première clé de voûte du système démocratique. On relève que tous les Etats francophones africains, nés dans le contexte de la Vème République française, ont choisi des Constitutions inspirées de celle-ci. A leur accession à l’indépendance, ces Etats africains qui n’avaient aucune expérience des pratiques républicaines, ont adopté cette forme de gouvernance « par défaut ». De surcroît, pendant des décennies, ils ont évolué dans des schémas qui sont l’antithèse du concept de République.
Les secousses politiques intervenues il y’a près d’une trentaine d’années, ont entraîné des révisions constitutionnelles, lesquelles ont porté sur divers aspects (création de nouvelles Institutions, durée des mandats etc.…). Mais, on observe que ces révisions ont rarement porté sur la fonction et les pouvoirs conférés au Président de la République. Tous les Etats africains vivent sous le principe du cumul des fonctions de Chef de l’Etat et de Chef de l’Exécutif. On notera, que si la Constitution de la IVème République Française a montré les failles du Régime Parlementaire, du fait de l’instabilité qu’elle entraîne au niveau de l’Exécutif, celle de la Vème comporte, elle aussi, des risques de gestion autocratique du pouvoir.
Le Général DE GAULLE, lui-même, en avait parfaitement conscience car, répondant à un journaliste lors de sa campagne référendaire en 1958, il déclarait à peu près ceci : « Pourquoi voulez–vous qu’à 67 ans, je devienne un dictateur ? »
Son pays, pendant presque deux siècles, a connu beaucoup de péripéties avant de se stabiliser dans sa forme actuelle. Les Institutions républicaines, progressivement, se sont consolidées, une culture politique s’est instaurée. Le résultat est qu’un pouvoir autocratique ne peut être instauré dans ce pays, en dépit de quelques errements qui font l’objet de critiques parfois très virulentes de ses Partis Politiques et de son opinion publique.
En Afrique, il en va, tout à fait, autrement : la gestion autocratique du pouvoir se vérifie dans tous les Etats francophones africains.
A la différence du modèle en vigueur dans l’hexagone, le système africain ne comporte, dans les faits, aucun contre-pouvoir réel, ni dans la reddition des comptes électifs, ni dans le contrôle de l’action gouvernementale, ni encore moins, dans celui du Président de la République, Chef de l’Etat.
Cette gestion autocratique du pouvoir africain tire son origine de ce cumul. C’est là, précisément, que se situe le nœud des problèmes de gouvernance dans ces Etats.
On peut proposer, à ce stade, quelques points de réflexion et d’action.
D’abord, au regard de ce qu’on observe, aujourd’hui, en Afrique, la classe politique doit, sérieusement s’interroger sur l’orientation présente et future des régimes politiques qu’elle met en place. Elle doit s’interroger sur le type de gouvernance qui sied à l’Afrique. Faut-il des Républiques, parlementaires, présidentielles, laïques ou islamiques ? Des Monarchies, absolues, constitutionnelles ou parlementaires ?
Ensuite, si l’objectif est de promouvoir des régimes républicains, elle devra s’interroger sur la meilleure façon d’encadrer la fonction présidentielle de sorte que soit mis fin à la gestion personnelle et patrimoniale du pouvoir, d’autant qu’aucun pouvoir politique, en Afrique, ne peut ignorer la trame des relations parentales, claniques et parfois confessionnelles. Ces faisceaux de relations se meuvent en réseaux denses et puissants qui déterminent toutes les décisions politiques et influent directement ou indirectement sur la vie du pays.
Pour trouver la forme gouvernance démocratique qui sied le mieux aux Etats africains, plusieurs voies peuvent être explorées.
En premier lieu, il n’y a pas, à travers le monde, que des Régimes Présidentiels du type Vème République. Dans de nombreux pays, la séparation des fonctions de Chef de l’Etat et de Chef de l’exécutif est effective, comme au Royaume Uni, en Allemagne, en Italie, etc… Ces régimes sont stables et la démocratie s’exerce sans heurts majeurs dès lors que les suffrages sont en faveur d’un Parti Politique.
Cette forme de gouvernance, place les Partis Politiques au cœur du système. Ceci nécessite, bien évidemment, la refonte de la Charte des Partis Politiques et de Codes Electoraux.
En second lieu, on pourrait s’accorder sur la formulation et la mise en œuvre d’une Charte adjacente à la Loi Fondamentale, qui ferait obligation au détenteur du pouvoir, de réaliser un Programme Minimum de Développement Politique, Economique, Social et Culturel, pluriannuel, défini en accord avec tous les acteurs politiques économiques et sociaux du pays.
Cette Charte serait sous-tendue par un Plan d’Action, qui serait mis à disposition de tous les acteurs de la vie nationale et des Indicateurs de Performance pour en mesurer périodiquement le niveau de réalisation. Leur suivi et leur évaluation seront faits par un Collège, quelle que soit son appellation, avec des démembrements régionaux et locaux.
La durée des Mandats pourraient être déterminée en fonction de ce Programme et de ces Indicateurs.
En somme, une version africaine des démocraties populaires,
Enfin, des réflexions doivent être menées, sur le binôme alternance du pouvoir et nécessité de rendre compte, à tous les niveaux.
Dans les rares pays où les régimes ont changé de main, de façon pacifique, (il n’y en a pas beaucoup), les tenants du pouvoir, à quelques échelons de la hiérarchie, ne rendent jamais compte, ni de leur gestion, ni des biens acquis durant l’exercice de leur mandat.
Les démocrates africains doivent, nécessairement, trouver des mécanismes appropriés pour que l’alternance du pouvoir se fasse dans un cadre de restitution des comptes électifs et financiers.
Ce binôme pose, de fait, toute la problématique et la responsabilité des Partis Politiques. De leur capacité à juguler les dérives qui entourent la mise en œuvre de ce concept, dépendra l’avenir de la démocratie en Afrique.
REAJUSTER LE CONCEPT DE PARTIS POLITIQUES
Les Partis Politiques constituent la seconde clés de voûte du système démocratique.
Après vingt ans, les démocrates africains doivent accepter de soumettre à critique le processus démocratique, en dressant un bilan objectif du pluralisme politique et des Partis qui en résultent. En tout état de cause, il ne peut être fait économie d’un certain nombre de régulations :
Mettre fin au désordre
Pour recevoir le label démocratique, ces Etats africains francophones ont-ils vraiment besoin d’avoir autant de formations politiques ? Le multipartisme, surtout s’il est intégral, est-t-il, forcément, synonyme de bonne santé de la démocratie ?
Au regard de ce qu’on observe dans ces pays, il est indéniable que la réponse à ces questions ne peut être que négative. Le processus, à l’évidence, comporte beaucoup d’insuffisances.
On relève d’abord que l’un des plus importants problèmes du continent, réside dans son émiettement politique. Celui-ci se retrouve aussi, à l’intérieur de chacun des Etats africains francophones où la vie politique est éclatée entre une multitude de Partis : leur paysage politique s’en trouve complètement perturbé et désordonné. Le pluralisme politique observé en Afrique est facteur de désordre. En partant du principe que l’essentiel du spectre politique évolue entre conservatisme, nationalisme et progressisme, Il faut mettre fin à ce désordre en ramenant le nombre des partis à un maximum de cinq . Des courants pourront y être créés afin d’entretenir en interne le débat politique et le renouvellement des instances dirigeantes.
On relève ensuite, que ces Etats africains ont plus que jamais, besoin de discipline.
Maints d’entre eux souffrent, aujourd’hui, du laisser-aller dans l’exercice de la citoyenneté, dans tous les actes que pose le citoyen au quotidien. Un des plus grands échecs de l’Afrique démocratique réside dans son incapacité à obtenir du citoyen la nécessité de concilier l’exercice de ses libertés individuelles et collectives avec le respect des Lois et des Institutions. Cette absence de discipline individuelle et collective, devient un fléau dont personne ne peut et ne doit se satisfaire.
Les Partis Politiques ont l’obligation de s’engager dans ce changement de mentalités qui constitue leur raison d’être.
On relève par ailleurs, que ces Etats africains ont, plus que jamais, besoin de mettre les populations au travail, dans un environnement assaini, favorable à l’éclosion des capacités.
Comparé au reste du monde, ce continent a choisi, comme la Cigale de la Fontaine, de chanter, de danser et pour finir, de tout mendier. On ne peut pas construire durablement un pays dans la facilité, dans la gabegie, dans l’usage de la corruption financière et politique, dans l’absence de contrôle et de toute justice. Le continent regorge de potentialités qui ne demandent qu’à être exploitées. Comment comprendre qu’aujourd’hui nombre d’entre eux ne soient même pas capable de nourrir, de soigner encore moins d’éduquer convenablement leur population ? La également la classe politique est fortement interpellée.
On relève enfin, que ces Etats ont, plus que jamais, besoin d’un meilleur encadrement des élections africaines. La démocratie ne peut se réduire quasiment à la seule préparation des « élections libres et transparentes ». Laisser la possibilité à tous ceux qui se sentent habités par quelque ambition d’accéder à des postes électifs à divers niveaux, surtout à la magistrature suprême, comporte de graves inconvénients dont l’un des plus importants est, sans aucun doute, l’exploitation des fractures sociales et des déchirures sur fond ethnique ou régionaliste. En Afrique, on sait jusqu’où cela peut conduire. Ces Etats ont l’obligation d’asseoir sur des bases solides, la cohésion sociale, et n’ont vraiment pas besoin de cette multitude de candidatures aux élections, ni de la démagogie qui les entoure. Tout comme ils n’ont pas besoin, que l’expression des suffrages se ramène soit à un retour sur investissement, soit à valider les choix faits ailleurs. En somme, la responsabilité des Partis Politiques est entière sur toutes ces questions.
Avoir un ancrage idéologique
Il est à noter, qu’à la différence des formations politiques d’avant l’indépendance qui se définissaient toutes par rapport au système colonial, celles qui animent aujourd’hui la vie politique en Afrique francophone, se caractérisent par l’unanimisme dans l’allégeance au Chef du moment, par l’absence de critique par rapport aux orientations du pays en matière de développement politique, économique et social du pays, par le manque de positionnement sur les actes que posent les gouvernements .
Elles se doivent de créer un cadre de débats d’idées, pour réengager les luttes politiques et faire prévaloir des orientations à l’aune des objectifs poursuivis. Elles doivent se donner comme objectif d’impliquer les populations dans la définition, la mise en œuvre, le contrôle de l’action gouvernementale et, ceci, en fonction de l’orientation générale du pays, à court, moyen et long terme.
En tout état de cause, si les Partis Politiques, ne mettent pas fin à leur opportunisme de toujours se positionner en fonction d’un homme et de sa ligne politique, si tant est que celui-ci en ait, s’ils ne s’engageaient pas dans les vrais débats de société au lieu de les occulter, ils perdront leur raison d’être et le reste de crédibilité que de moins en moins, les populations leur accordent. Alors, ils ne seront, ni plus, ni moins, que des Groupements d’Intérêt Economique, ou « des Cartels politiques ».
Assainir l’environnement socio- politique
L’environnement socio- politique des Etats francophones africains est malsain. La corruption dans ses différentes manifestations, en s’incrustant dans tous les rouages de la vie politique, économique et sociale, en est la première et la principale cause. De plus en plus, les populations, d’un pays à un autre, réclament des changements dans leur gouvernance.
Mettre fin à toutes les déviances, est sans nul doute, la grande problématique qui se pose, aujourd’hui, dans ces pays. Il est aussi et surtout une forte interpellation de la démocratie africaine dont la survie pourrait en dépendre.
Assumer l’entièreté de sa souveraineté
Dans son ouvrage intitulé « Discours sur l’origine et les fondements des Inégalités entre les Hommes », Jean Jacques ROUSSEAU écrit :
«…Et s’il y a un chef national et un autre étranger, quelque partage d’autorité qu’ils puissent faire, il est impossible que l’un et l’autre soient obéis et que l’Etat soit bien gouverné ».
Cette citation résume parfaitement la situation actuelle des Etats d’Afrique francophone. Leur dépendance vis-à-vis de la France en particulier, fait que les pouvoirs qui s’y exercent le sont à divers degrés par procuration.
Dès lors, la condition première de toute refondation de la gouvernance dans ces Etats, réside dans le recouvrement de l’entièreté de leur souveraineté.
D’abord au plan politique, l’émergence de la démocratie ne doit pas permettre que se poursuivent les interférences extérieures dans le choix des dirigeants africains. Il est une chose de s’accorder sur la fin des coups d’Etat militaires, il en est une autre de laisser la possibilité aux peuples africains de choisir leurs propres dirigeants. Toutes interventions étrangères, directes ou « maquillées » , ne peuvent avoir, comme résultat, que de dévoyer le processus démocratique de ces pays.
Ensuite, au plan économique, les politiques menées depuis cinquante ans, par ces Etats, au regard des problèmes qu’ils rencontrent aujourd’hui, des enjeux intérieurs et extérieurs qui se font jour, deviennent anachroniques et n’aboutissent qu’à une extraversion incontrôlée de la sphère économique et la dégradation continue des termes de l’échange qui va avec.
Il est largement temps pour eux de s’assumer et de penser en fonction de leurs propres intérêts.
Enfin, ils doivent être en mesure de revoir leur politique d’intégration. Celle-ci devra s’appuyer sur la création d’entités politiques intégrées, dont la finalité serait de renforcer le rapprochement des peuples africains et de créer des espaces économiques viables.
En tout état de cause, les politiques en cours qui, en définitive, n’aboutissent à rien d’autre que d’ouvrir le marché africain à l’étranger et perpétuer les rapports de domination que le continent continue de subir, ne devraient plus être maintenues comme telles.
Au regard des enjeux qui apparaissent en Afrique, les Organisations sous régionales et régionales ainsi que l’Union Africaine doivent être revues, de fond en comble, aussi bien dans leur configuration que dans leurs missions, pour les positionner par rapport à ces enjeux qui dépassent le cadre étriqué des Etats qui les constituent.
La véritable indépendance africaine, à n’en pas à douter, ne se fera pas sans douleur : il faut se faire à cette vérité et s’y préparer !
En conclusion, la démocratie africaine a besoin de se remettre en cause. Il ne s’agit point de tout rejeter mais de retenir et d’intégrer ce que la démocratie occidentale a de vertueux dont entre autre, le droit à la différence, l’acceptation de l’autre, la tolérance, le respect de la volonté du plus grand nombre, le respect du bien public, la probité morale, la création d’espaces de liberté individuelle et collective, etc.
Les Africains doivent s’affranchir de l’emprise néocoloniale et arrêter de mimer servilement ce qui se pratique dans des sociétés à tous égards différentes des leurs.
Ils doivent faire en sorte que des courants nouveaux fassent émerger des leaders d’un autre type, en phase avec leurs peuples et tournés, exclusivement, vers le progrès de leur pays. Aussi, doivent-ils avoir confiance en eux- mêmes et s’engager dans la promotion des valeurs qui leur sont propres, en vue de construire leur démocratie.
Il faut espérer qu’ils y arriveront, un jour ! Sinon, il faudrait, alors, qu’ils donnent raison à Chirac :
« La démocratie est un luxe pour l’Afrique ».
Et un leurre de plus !